-Définition de la grève-
En l'absence de toute définition légale, on peut retenir
celle qui se dégage de la jurisprudence : la grève est la cessation collective
et concertée du travail, en vue d'appuyer des revendications professionnelles
déjà déterminées et connues de l'employeur.
La reconnaissance de la grève, en tant que liberté fondamentale et
droit reconnu à tout travailleur, impose aux juges de définir avec précision
les mouvements qui relèvent du statut protecteur du salarié gréviste et ceux
qui doivent en être exclus. On ne peut plus aujourd'hui opposer grève licite ou
grève illicite. La grève existe ou n'existe pas. Depuis 1992, la Cour de
cassation a abandonné le vocable de « grève illicite » pour celui de «
mouvement illicite ».
5 à 8 (Réservés.)
Section 1
La cessation du travail
Nécessité d'un arrêt
du travail
La grève suppose en premier lieu un arrêt du travail.
Ne constitue pas une cessation concertée du travail la participation d'un
médecin à un mouvement collectif de refus de payer des cotisations à l'Ordre
des médecins à titre de protestation contre les prises de position du conseil
de l'Ordre : une telle action n'est pas une grève.
¨ Cass. soc., 15 janv. 1991, Layet
Sur le nombre et la durée des arrêts de travail, voir nos 51 et s.
Nécessité d'un arrêt complet
On appelle couramment « grève perlée » le fait d'exécuter le travail au ralenti
ou dans des conditions différentes des conditions habituelles.
Pour la Cour de cassation, une telle action ne constitue pas un exercice licite
du droit de grève.
Il n'y a pas arrêt du travail quand le travail est exécuté au ralenti ou dans
des conditions volontairement défectueuses.
¨ Cass. soc., 5 mars 1953, no 1.392 : Bull. civ. IV, no 185
Les ouvriers d'un atelier d'émaillage qui refusent de respecter les horaires de
travail et modifient leur activité par refus de doubler les pièces simples et
d'émailler toutes les pièces, provoquant un engorgement de la production, ne
peuvent pas être considérés comme ayant fait grève puisque aucune cessation du
travail n'a eu lieu.
¨ Cass. soc., 16 mai 1989, no 85-43.359 : Bull. civ. V, no 360
La « grève du zèle », consistant à appliquer très strictement les consignes
données pour l'exécution du travail, aboutit elle aussi à ralentir (parfois
considérablement) cette exécution. La jurisprudence n'a pas eu cependant
l'occasion de se prononcer sur le caractère licite ou non de ce genre d'action.
L'arrêt de travail ne doit pas être
une inexécution fautive du contrat
Le droit pour les salariés de recourir à
la grève ne les autorise pas, sous son couvert, à exécuter leur travail dans
les conditions qu'ils revendiquent et autres que celles prévues par leur
contrat. En conséquence, ne constitue pas une grève le refus de venir
travailler un samedi alors que l'entreprise avait régulièrement décidé, pour
faire face à un retard de production, de faire effectuer ce jour-là des heures
supplémentaires.
¨ Cass. soc., 21 juin 1989, no 88-44-240 : Bull. civ. V, no 457
En revanche, il y a bien exercice licite du droit de grève lorsque des ouvriers
n'exécutent pas leur travail dans la nuit du samedi au dimanche, si ces arrêts
avaient pour but de contraindre l'employeur à respecter les dispositions d'un
récent décret imposant, dans les entreprises travaillant en continu, une
interruption d'activité d'au moins 14 heures en fin de semaine : ils n'avaient
pas cherché à imposer une modification de l'horaire pour leur seule convenance
personnelle, mais à faire respecter par l'employeur une disposition
réglementaire qu'ils estimaient applicable à l'entreprise.
¨ Cass. soc.,
18 nov. 1982, no 80-41.530 : Bull. civ. V, no 629
12 à 15 (Réservés.)
Section 2
La cessation collective et concertée
du travail
La grève est une action collective
Sauf exceptions indiquées aux nos 17 et 17 a, la grève ne peut pas être
le fait d'un seul salarié. Mais il n'est pas nécessaire que la totalité ni même
la majorité du personnel de l'établissement ou de l'entreprise participe à la
grève : « L'arrêt de travail concerté de 58 ouvriers d'une entreprise dans le
but d'obtenir une amélioration des conditions de travail ne saurait perdre le
caractère de grève par le seul fait qu'il n'a pas été observé par la majorité
du personnel. »
¨ Cass. soc., 3 oct. 1963, no 62-40.058 : Bull. civ. IV, no 645
Une grève peut être suivie par trois salariés seulement, si le litige les
opposant à leur employeur (augmentation de la prime de déplacement) ne concerne
pas les autres salariés.
¨ Cass. soc., 9 juin 1982, no 80-40.899, Sté Bastide c/ Baudet
Exception : grève individuelle liée à un mouvement
national
Si un salarié cesse le travail pour s'associer à un mouvement de grève lancé à
l'échelon national par les syndicats, il exerce bien le droit de grève même
s'il est le seul à cesser le travail dans son entreprise.
TI Albertville, 19 nov. 1968 : JCP éd. G 1969, no 15789
¨ Cass. soc., 29 mai 1979, no 78-40.553 : Bull. civ. V, no 464
Un seul salarié ne peut prétendre exercer isolément le droit de grève, sauf
dans le cas où il obéit à un mot d'ordre de grève formulé au plan national.
¨ Cass. soc., 29 mars 1995, no 93-41.863 : Bull. civ. V, no 111
17 a Cas de l'unique salarié d'une entreprise
Dans les entreprises ne comportant qu'un unique salarié, celui-ci, qui est le
seul à même de présenter et de défendre ses revendications professionnelles,
peut légitimement exercer son droit de grève, lequel est constitutionnellement
reconnu.
¨ Cass. soc., 13 nov. 1996, no 93-42.247 : Bull. civ. V, no 379
18 Tout salarié peut participer à la grève
Un cadre, même s'il exerce les fonctions de sous-directeur, est en droit de
faire grève. On ne saurait lui refuser ce droit au motif que sa fonction lui
interdit de donner l'exemple de la grève aux salariés placés sous ses ordres.
¨ Cass. soc., 27 mars 1952, no 4.354 : Bull. civ. III, no 272
L'obligation d'assurer un service de sécurité (v. no 58) peut cependant
restreindre le droit de certains salariés de participer à la grève.
19 La grève est une action concertée
La concertation préalable à la grève n'implique pas que la grève ait été
longuement et minutieusement préparée à l'avance : elle peut se déclencher
spontanément, mais elle doit traduire une décision commune des salariés
d'entamer un mouvement revendicatif.
Ainsi, commet une faute lourde le salarié qui prend l'initiative d'actionner la
sirène pour arrêter le travail avant l'heure habituelle, alors qu'aucune
décision n'avait encore été prise par l'ensemble des travailleurs sur
l'éventualité d'une grève.
¨ Cass. soc., 15 nov.
1951, no 818 : Bull. civ. III, no 750
20 à 24 (Réservés.)
Section 3
Les revendications
professionnelles
25 Revendications professionnelles licites
Elles portent fréquemment sur les salaires, mais peuvent concerner aussi
d'autres aspects de la vie professionnelle.
a - Salaires :
_ demande d'augmentation de salaire, même si le chiffre réclamé est supérieur à
celui prévu par la législation en vigueur portant blocage des salaires ;
¨ Cass. soc., 21 mai 1959, no 1.040 : Bull. civ. IV, no 594
_ protestation contre le relèvement jugé insuffisant du SMIG ;
¨ Cass. soc., 2 juin 1961, no 58-40.569 : Bull. civ. IV, no 598
_ grève nationale de protestation contre le blocage des salaires résultant du «
plan Barre » ;
¨ Cass. soc., 29 mai 1979, no 78-40.553 : Bull. civ. V, no 464
_ désaccord entre le personnel et la direction sur les augmentations de salaire
et la réduction de primes.
¨ Cass. soc., 18 avr. 1989, no 88-40.724 : Bull. civ. V, no 278
b - Conditions de travail :
_ est bien une grève un arrêt de travail ayant notamment pour objet d'obtenir
des modifications des conditions de travail ;
¨ Cass. soc., 26 févr. 1981, nos 79-41.359 et 79-41.376 : Bull. civ. V, no 161
_ les protestations des salariés concernant les mauvaises conditions de
chauffage du magasin sont des revendications professionnelles ;
¨ Cass. soc., 4 avr. 1990, no 88-43.909 : Bull. civ. V, no 156
_ les salariés qui, refusant de travailler sur un chantier en raison de pluies
torrentielles et d'un vent violent rendant dangereux leur travail, demandent le
bénéfice du chômage-intempéries, présentent bien une revendication professionnelle.
L'arrêt de travail consécutif au refus de l'employeur de satisfaire à cette
revendication est une grève licite ;
¨ Cass. soc., 26 sept. 1990, no 88-41.375 : Bull. civ. V, no 387
_ est une revendication professionnelle licite le fait pour des salariés de
demander la mise à disposition d'un moyen de transport ou d'une prime de
déplacement, pour se rendre sur un chantier éloigné.
¨ Cass. soc., 18 juin 1996, no 92-44.497, Beldekim et a. c/ SORMAE
c - Défense de droits collectifs :
_ grève appuyant une demande d'élection de délégués du personnel ;
¨ Cass. ass. plén., 27 oct. 1972, no 70-92.627 : Bull. civ. AP, no 5
_ grève déclenchée pour protester contre le licenciement de deux salariées qui
avaient demandé l'organisation d'élections de délégués du personnel et qui
s'étaient portées candidates.
¨ Cass. soc., 18 janv. 1995, no 91-10.476 : Bull. civ. V, no 27
d - Défense de l'emploi :
_ protestations contre les menaces de compression de personnel préfigurées par
le licenciement de plusieurs salariés ;
¨ Cass. soc., 27 févr. 1974, no 72-40.726 : Bull. civ. V, no 140
_ craintes sur la stabilité de l'emploi en raison d'une décision de l'employeur
d'ouvrir un nouveau magasin ;
¨ Cass. soc., 4 avr. 1990, no 88-43.909 : Bull. civ. V, no 156
_ grève justifiée par le fait que l'employeur avait enlevé à l'établissement
les moyens lui permettant de fonctionner normalement, les salariés se trouvant
alors dans une situation contraignante les obligeant à cesser leur travail pour
revendiquer le respect de leurs droits essentiels ;
¨ Cass. soc., 26 févr. 1992, no 90-40.760 : Bull. civ. V, no 124
_ contestation du plan de restructuration de l'entreprise ;
¨ Cass. soc., 20 mai 1992, no 90-45.271 : Bull. civ. V, no 319
_ craintes à l'égard de la politique commerciale de la direction ;
¨ Cass. soc., 2 juin 1992, nos 89-40.565 et 89-40.573 : Bull. civ. V, no
355
_ cessation de travail décidée pour faire aboutir des revendications
professionnelles portant sur l'embauche de personnel, l'augmentation des
salaires, la suppression des jours de carence et la réduction du temps de
travail, ces revendications correspondant à un malaise provoqué dans
l'entreprise par des licenciements ;
¨ Cass. soc., 12 avr. 1995, no 93-10.968 : Bull. civ. V, no 129
_ grève consécutive à l'annonce d'un licenciement individuel économique, « la
menace sur l'emploi que faisait peser ce licenciement caractérisant une
revendication professionnelle de défense et de maintien de l'emploi intéressant
l'ensemble du personnel ».
¨ Cass. soc., 22 nov. 1995, no 93-44.017 : Bull. civ. V, no 307
26 Les revendications professionnelles doivent-elles
en outre être « raisonnables » ?
Un mouvement de grève est-il illicite si l'employeur n'est pas en mesure de
satisfaire les revendications présentées ? La question a été posée dans le
conflit opposant des syndicats de mécaniciens navigants et de pilotes de ligne
à plusieurs compagnies aériennes, à la suite de l'autorisation donnée à une
autre compagnie par le ministère des Transports de faire voler certains
appareils avec un équipage de deux pilotes au lieu de trois : les syndicats
avaient demandé à ces compagnies de s'engager à ne pas réduire le nombre de
pilotes, et avaient déposé à ce sujet des préavis de grève.
Ce conflit a donné lieu à une multitude de décisions de justice.
La Cour de cassation avait estimé que le juge des référés est en droit de
suspendre les préavis et ordres de grève, car il lui appartient d'apprécier
souverainement si la grève n'entraîne pas un trouble manifestement excessif : «
La décision ministérielle échappait à la compétence des compagnies, celles-ci
ne disposant d'aucun moyen de droit pour obliger l'administration à la modifier
; l'engagement de très longue durée qui leur était demandé au mépris des
contraintes financières et des progrès techniques était déraisonnable et les
compagnies ne pouvaient de toute évidence satisfaire les revendications des
syndicats. »
¨ Cass. ass. plén., 4 juill. 1986, no 84-15.735 : Bull. civ. AP, no 11
Mais par la suite, à propos de nouveaux préavis de grève, la cour d'appel de
Paris a jugé que :
« le juge de l'ordre judiciaire, qui n'a reçu ni de la loi, ni des parties,
mission d'arbitrer ou de trancher un conflit collectif du travail, n'a pas
qualité ni compétence pour apprécier le bien-fondé et, par suite, la légitimité
des revendications d'ordre professionnel présentées par l'une ou l'autre des
parties au conflit ;
« il ne lui appartient pas de substituer sa propre appréciation de la
rationalité du mouvement collectif à celle normalement débattue entre employeur
et syndicat professionnel, non plus que d'exercer un contrôle sur les problèmes
d'ordre technologique, économique ou financier qui font l'objet du débat et
d'imposer sa solution auxdits problèmes ;
« le juge doit seulement, au vu des circonstances particulières d'une espèce
donnée, vérifier que l'exercice du droit de grève _ reconnu licite dans son
principe par le préambule de la constitution du 27 octobre 1946 _ se
réalise suivant des modalités qui ne le fassent pas dégénérer en abus
insusceptibles de protection ».
La cour a donc reconnu licite l'un des préavis déposés, mais a déclaré
justifiée la suspension d'un autre parce que le choix de la date de la grève
prévue (1er et 2 août) « faisait apparaître avec certitude un grave
et imminent préjudice pour les milliers de voyageurs partant en vacances ou en
revenant ».
CA Paris, 27 janv. 1988 : Dr. soc. mars 1988, p. 248, et article
J.-E. Rey « Affaire Air Inter (suite), le retour à la raison »
Il est donc admis aujourd'hui qu'un mouvement de grève est licite même quand
les revendications présentées peuvent paraître « déraisonnables » (ce qui est
d'ailleurs le cas dans bien des conflits, où les grévistes réclament plus que
ce qu'ils espèrent obtenir, afin de garder une « marge de manoeuvre » dans la
négociation).
A noter en ce sens que la Cour de cassation a abandonné la notion de «
revendications déraisonnables ».
¨ Cass. soc., 2 juin 1992, no 90-41.368 : Bull. civ. V, no 356
Les juges réservent toutefois l'hypothèse de « revendications abusives », même
si on ne peut aujourd'hui en donner encore aucun exemple.
¨ Cass. soc., 19 oct. 1994, no 91-20.292 : Bull. civ. V, no 281
27 Revendications professionnelles illicites
Exceptionnellement, un mouvement de grève appuyant une revendication
professionnelle pourra être déclaré illicite si la revendication est illégale
ou injustifiée. Tel est le cas d'une réclamation qui ne saurait être satisfaite
qu'en sortant de la légalité, comme une grève pour obtenir le paiement
d'indemnités de chômage-intempéries par des salariés qui ne s'étaient pas
présentés normalement sur le chantier pour occuper leur emploi, cette
revendication étant contraire aux dispositions légales relatives aux indemnités
d'intempérie.
¨ Cass. soc., 9 févr. 1961, no 59-40.795 : Bull. civ. IV, no 188
De même, l'arrêt de travail ayant pour seul objet de permettre à des salariés
d'assister à une audience de référé ne constitue pas l'exercice normal du droit
de grève. Dès lors, l'employeur était en droit d'adresser des avertissements
écrits à chacun des salariés concernés.
¨ Cass. soc., 7 juin 1995, no 93-43.895 : Bull. civ. V, no 179
28 Grèves de solidarité internes
La grève déclenchée à l'intérieur d'une entreprise pour protester contre des
sanctions infligées à certains salariés, et pour amener l'employeur à revenir
sur ces sanctions, peut être justifiée.
« La grève revêt en principe un caractère licite que ne saurait lui enlever le
fait que les salariés y aient recouru pour protester contre le licenciement de
l'un des leurs. »
¨ Cass. crim., 27 nov. 1973, no 90.495/73 : Bull. crim. , no 437
Si le licenciement de six salariés était motivé par le fait qu'ils avaient
prolongé leur congé au-delà de la date fixée par l'employeur conformément à la
pratique du fractionnement, dont la suppression avait été réclamée par les
salariés, les juges peuvent en déduire que l'action entreprise par les
grévistes pour soutenir les salariés licenciés n'était pas étrangère à des
revendications professionnelles intéressant l'ensemble du personnel et
constituait donc une grève licite.
¨ Cass. soc., 27 nov. 1985, no 82-43.649 : Bull. civ. V, no 559
Mais la grève de solidarité sera considérée comme injustifiée si la sanction
infligée au salarié correspond à une faute personnelle de celui-ci, et si
aucune revendication n'est en jeu :
_ une grève de protestation contre le licenciement d'un serveur ayant insulté
des clients est illicite : ce licenciement, fondé sur un motif apparemment
sérieux et strictement personnel, n'avait pas un caractère abusif évident
pouvant légitimement entraîner une réaction de défense collective ;
¨ Cass. soc., 18 mars 1982, no 80-40.576 : Bull. civ. V, no 182
_ les juges ne peuvent pas déclarer abusif le licenciement de grévistes sans
rechercher si le licenciement qui avait motivé la grève n'avait pas pour cause
des faits personnels au salarié à qui il était reproché de graves négligences
dans l'accomplissement de son travail ;
¨ Cass. soc., 16 oct. 1985, no 82-42.235 : Bull. civ. V, no 459
_ est fautif l'arrêt de travail destiné à soutenir un ouvrier mis à pied après
projection d'un jet de peinture au pistolet sur un agent de maîtrise : dès lors
que la sanction n'impliquait rien d'autre qu'une faute personnelle du salarié
sanctionné, le mouvement ne se rattachait en rien à des revendications
professionnelles ;
¨ Cass. soc., 30 mai 1989, no 86-16.765 : Bull. civ. V, no 405
_ le fait que l'employeur ait licencié un salarié sans respecter la procédure
légale ne constituait pas un manquement grave et délibéré de l'employeur à ses
obligations « et n'était pas de nature à contraindre les salariés à une
cessation concertée du travail ».
¨ Cass. soc., 20 févr. 1991, no 89-41.148 : Bull. civ. V, no 80
Dans cette affaire, la grève n'a pas été déclarée illicite ou injustifiée, mais
les grévistes ont été déboutés de leur demande en paiement des heures de grève
(alors que dans certains cas ce paiement peut être obtenu : v. no 128).
29 Grèves de solidarité externes
La grève peut ne pas être limitée à l'entreprise, mais être une manifestation
de solidarité avec les salariés d'une autre entreprise ou d'une autre branche
professionnelle, ou même avec l'ensemble des salariés.
La participation à une grève générale, apparaissant comme une manifestation
nationale de solidarité professionnelle pour la défense de l'emploi, du budget
des salariés et du droit syndical, est une grève licite dès lors qu'elle tend à
la satisfaction de certaines revendications d'ordre social et professionnel,
lesquelles, pour être générales et communes à un très grand nombre de
travailleurs, n'en étaient pas moins de nature à intéresser les salariés de
l'entreprise.
¨ Cass. crim., 12 janv. 1971, no 90-753.70 : Bull. crim. , no 5
Comme indiqué au no 17, la participation à une grève de ce type peut être
le fait d'un seul salarié de l'entreprise.
30 Les grèves politiques
Commet une faute lourde le salarié qui, à l'appel de son syndicat, cesse de
travailler pour participer à une manifestation politique.
¨ Cass. soc., 5 oct. 1960, no 59-40.439 : Bull. civ. IV, no 818
Est illicite la grève déclenchée pour appuyer le dépôt d'une pétition à
l'Assemblée nationale. Toutefois, l'interruption de travail n'ayant été que de
courte durée et n'ayant entraîné aucun incident ni entrave à la liberté du
travail, les grévistes n'avaient pas commis une faute lourde et avaient donc droit
aux indemnités de rupture.
¨ Cass. soc., 13 janv. 1960, no 58-40.242 : Bull. civ. IV, no 32
Par exception, l'arrêt de travail déclenché en 1961 contre le mouvement
insurrectionnel d'Alger a été reconnu licite : en organisant cette grève, les
syndicats n'avaient fait que répondre à un appel du président de la République
demandant aux Français de s'opposer à ce mouvement par tous les moyens.
¨ Cass. soc., 19 juin 1963, no 62-40.559 : Bull. civ. IV, no 518
31 Grèves politiques et professionnelles
Si la grève a à la fois un caractère politique et un caractère professionnel,
les juges du fond devront rechercher quelles ont été ses causes déterminantes.
¨ Cass. soc., 14 févr. 1957, no 4.312 : Bull. civ. IV, no 171
La grève sera illicite si la revendication professionnelle avancée (demande
d'acompte) n'est qu'un simple prétexte.
¨ Cass. soc., 23 mars 1953, no 1.398 : Bull. civ. IV, no 253
Par contre, sera licite la grève dont la cause directe est professionnelle,
même s'il existait des éléments d'ordre politique dans ses causes profondes.
¨ Cass. soc., 4 juin 1959, no 1.360 : Bull. civ. IV, no 660
¨ Cass. soc., 29 mai 1979, no 78-40.553 : Bull. civ. V, no 464
32 Les revendications doivent être connues
de l'employeur
La grève suppose l'existence de revendications professionnelles connues de
l'employeur. Tel est bien le cas si l'Union locale d'un syndicat, après avoir
arrêté au préalable avec un des salariés de l'entreprise la liste des
revendications, a présenté celle-ci à l'employeur trois jours avant la grève.
¨ Cass. soc., 27 juin 1990, no 86-45.086 : Bull. civ. V, no 316
La présentation de revendications professionnelles doit précéder la cessation
du travail.
¨ Cass. soc., 10 oct. 1990, no 88-41.426 : Bull. civ. V, no 434
A cet égard, la Cour de cassation a admis qu'un arrêt de travail est
valablement précédé de revendications professionnelles lorsqu'un tract,
appelant à la grève, invoque la défense de l'exercice du droit syndical.
¨ Cass. soc., 30 mars 1999, no 97-41.104, Sté Euronetec France c/ Garnier
et a. : Bull. civ. V, no 140
33 Il n'est pas nécessaire que l'employeur ait refusé
les revendications
Pendant longtemps, la Cour de cassation exigeait, pour que la grève soit
licite, que l'employeur ait refusé de satisfaire les revendications présentées
: il fallait donc que les futurs grévistes laissent à l'employeur un temps de
réflexion et de réponse avant de déclencher l'arrêt du travail.
La Cour de cassation a par la suite abandonné cette exigence : si la
présentation de revendications professionnelles doit être préalable, la grève
n'est pas soumise en principe à la condition d'un rejet desdites revendications
par l'employeur.
¨ Cass. soc., 11 juill. 1989, no 87-40.727 : Bull. civ. V, no 509
¨ Cass. soc., 10 oct. 1990, no 88-41.426 : Bull. civ. V, no 434
¨ Cass. soc., 20 mai 1992, no 90-45.271 : Bull. civ. V, no 319
34 Appréciation de la légitimité
des revendications par le juge
A partir du moment où les revendications sont d'ordre professionnel, le juge ne
peut substituer son appréciation à celle des grévistes.
Le juge ne peut, sans porter atteinte au libre exercice d'un droit
constitutionnellement reconnu, substituer son appréciation à celle des
grévistes sur la légitimité ou le bien-fondé des revendications.
¨ Cass. soc., 2 juin 1992, no 90-41.368 : Bull. civ. V, no 356
¨ Cass. soc., 19 oct. 1994, no 91-20.292 : Bull. civ. V, no 281
35 Actes illicites commis par des salariés
au cours d'une grève
La commission, par certains salariés grévistes, d'actes illicites au cours d'un
mouvement de grève ne suffit pas, à elle seule, à en modifier la nature dans la
mesure où la grève en elle-même, dans son déroulement, n'entraîne pas une
désorganisation de l'entreprise telle qu'elle devient abusive.
¨ Cass. soc., 18 janv.
1995, no 91-10.476 : Bull. civ. V, no 27
36 à 39 (Réservés.)
Chapitre 2
Le déclenchement
de la grève
40 Pas de rôle exclusif des syndicats
Un arrêt de travail ne perd pas le caractère de grève licite du fait qu'il n'a
pas été déclenché à l'appel d'un syndicat.
¨ Cass. soc., 19 févr. 1981, no 79-41.281 : Bull. civ. V, no 143
Les syndicats peuvent effectivement appeler à la grève, mais leur intervention
n'est nullement obligatoire. Dans la pratique, il est fréquent que la grève
soit déclenchée par « la base », hors de tout mot d'ordre syndical, et que les
organisations syndicales appuient ensuite le mouvement.
41 Pas de préavis légal dans le secteur
privé
La grève ne perd pas son caractère licite du fait qu'elle n'a pas été précédée
d'un avertissement.
¨ Cass. soc., 26 févr. 1981, nos 79-41.359 et 79-41.376 : Bull. civ. V, no 161
Les grévistes peuvent donc cesser le travail dès que l'employeur a connaissance
de leurs revendications.
42 Préavis du secteur public applicable à
certaines entreprises privées
Dans le secteur public, la grève doit être précédée d'un préavis. Celui-ci doit
émaner de l'organisation ou d'une des organisations syndicales les plus
représentatives sur le plan national, dans la catégorie professionnelle ou dans
l'entreprise, l'organisme ou le service intéressé.
Le préavis doit en outre :
_ préciser les motifs du recours à la grève ;
_ parvenir cinq jours francs avant le déclenchement de la grève à l'autorité
hiérarchique ou à la direction de l'établissement, de l'entreprise ou de
l'organisme intéressé ;
_ fixer le lieu, la date et l'heure du début ainsi que la durée, limitée ou
non, de la grève envisagée.
C. trav., art. L. 521-3
L'exercice normal du droit de grève dans les services publics n'exige pas que
l'arrêt de travail couvre toute la durée indiquée dans le préavis. En outre, en
présence de plusieurs préavis, l'arrêt de travail intervenu au cours de la
période mentionnée par le premier préavis constitue l'exercice normal du droit
de grève dès lors qu'il est régulier, peu important la validité des préavis
ultérieurs.
¨ Cass. soc., 12 janv. 1999, no 96-45.760, SNCF c/ Allias et a. : Bull.
civ. V, no 6
Cette obligation de respecter un préavis s'applique également « aux personnels
des entreprises, des organismes et des établissements publics ou privés lorsque
ces entreprises, organismes ou établissements sont chargés de la gestion d'un
service public ».
C. trav., art. L. 521-2
L'obligation de préavis s'applique aussi bien lorsqu'il s'agit d'un service
public administratif que d'un service public industriel ou commercial.
¨ Cass. soc., 16 juill. 1997, no 95-22.276, Le Port autonome de Bordeaux
c/ Syndicat CGT des personnels du Port autonome de Bordeaux : Bull. civ. V, no
269
Lorsque le préavis de grève ne respecte pas le délai de cinq jours, les auteurs
du préavis commettent une faute lourde. Toutefois, aucune faute ne peut être
reprochée aux autres salariés si leur attention n'a pas été attirée sur
l'obligation de respecter le préavis incombant au personnel des entreprises
privées chargées de la gestion d'un service public.
¨ Cass. crim., 10 mai 1994, no 93-82.603, Lussiez
La Chambre sociale a de même jugé que les salariés dont l'attention n'a pas été
appelée sur l'obligation de préavis incombant en cas de grève au personnel des
entreprises privées chargées de la gestion d'un service public, n'ont pas
enfreint sciemment les dispositions de l'article L. 521-3 du Code de
travail ; dès lors, aucune faute lourde ne peut leur être imputée dans
l'exercice du droit de grève.
¨ Cass. soc., 5 juin 1984, no 81-42.229 : Bull. civ. V, no 229
43 Préavis éventuellement prévu par la convention
collective
Les conventions collectives doivent, pour pouvoir être étendues, contenir des
dispositions relatives aux « procédures conventionnelles de conciliation
suivant lesquelles seront réglés les conflits collectifs de travail ».
C. trav., art. L. 133-5, 13o
Depuis un arrêt de revirement du 7 juin 1995, les conventions collectives
ne peuvent plus valablement limiter le droit de grève par l'instauration d'un
préavis. En effet, selon les juges, « une convention collective ne peut avoir
pour effet de limiter ou de réglementer pour les salariés l'exercice du droit
de grève constitutionnellement reconnu ; seule la loi peut créer un délai de
préavis de grève s'imposant à eux ».
¨ Cass. soc., 7 juin 1995 : Bull. civ. V, no 180 ; ¨ Cass. soc.,
12 mars 1996, no 93-41.670 : Bull. civ. V, no 88
Jusqu'à ces arrêts, la Cour de cassation admettait la licéité des clauses
conventionnelles de préavis et qualifiait de faute lourde le non-respect
délibéré par un salarié de la clause de la convention collective imposant un
délai de réflexion de huitaine avant de déclencher une grève.
¨ Cass. soc., 6 mai 1960, no 6.506 : Bull. civ. IV, no 463
De même, une grève déclenchée en méconnaissance de la procédure préalable de la
convention avait pu être jugée illicite.
¨ Cass. soc., 28 juin 1978, no 76-41.077 : Bull. civ. V, no 512
Quant aux clauses conventionnelles existantes, la formule employée par la Cour
de cassation rend ces clauses inopposables aux salariés qui se mettent en grève,
mais elle ne remet pas en cause l'action de l'employeur à l'encontre des
syndicats, par ailleurs signataires de ces clauses, qui ne les respecteraient
pas.
En ce sens, le syndicat qui déclenche une grève sans respecter le délai d'une
semaine franche avant toute mesure de cessation de travail commet une faute et
peut être condamné à des dommages-intérêts.
¨ Cass. soc., 6 mai 1960, no 6.551 : Bull. civ. IV, no 464
44 Procédures de conciliation
Les procédures de conciliation instituées soit par la loi (v. no 187) soit par
la convention collective (v. no 186) n'ont pas un caractère préalable et
peuvent donc être mises en oeuvre après le déclenchement de la grève.
45 Choix du moment de la grève
Sous réserve que l'employeur ait connaissance des revendications, et en dehors
des cas où un préavis est obligatoire, les grévistes peuvent déclencher leur
mouvement à n'importe quel moment : la « grève surprise » est parfaitement
licite.
On ne saurait reprocher aux salariés qui recourent à la grève de choisir le
moment où celle-ci sera la plus efficace parce que la plus gênante.
¨ Cass. soc., 20 janv. 1956, no 4.769 : Bull. civ. IV, no 71
N'est pas illicite la grève déclenchée par les caissières d'un hypermarché à
une heure de grande affluence, ce qui avait entraîné de nombreux vols par les
clients : il appartenait à l'employeur, pour qui la grève était prévisible
puisqu'il avait fait venir un huissier pour la constater, de prendre les
mesures nécessaires pour en pallier les conséquences dommageables.
¨ Cass. soc., 13 mars 1980, no 78-41.613 : Bull. civ. V, no 251
46 Grève surprise exceptionnellement abusive
La réglementation de l'aviation civile impose l'obligation d'assurer la
continuité des vols : il s'ensuit la nécessité d'observer dans le déclenchement
des arrêts de travail des modalités compatibles avec ces contraintes
exceptionnelles. Même si l'obligation d'un préavis ne s'applique pas à une
compagnie d'aviation privée, le fait pour un syndicat d'inciter ses adhérents à
cesser leur travail en escale sans préavis constitue une faute.
¨ Cass. soc., 25 oct. 1979, no 78-13.528 : Bull. civ. V, no 786
47 à 50 (Réservés.)
Chapitre 3
Le déroulement
de la grève
Section 1
Durée de la grève
51 Pas de limites de durée
Ni la loi, ni les conventions collectives ne fixent les durées minimales ou
maximales des arrêts de travail observés par les grévistes. Une grève peut donc
être de très courte durée (une heure, ou même moins) ou être suivie pendant
plusieurs semaines.
52 Principe : les arrêts de travail répétés
et de courte durée sont licites
La répétition d'arrêts de travail dont l'employeur avait été prévenu à
l'avance, même de très courte durée, constitue l'exercice normal du droit de
grève.
¨ Cass. soc., 25 févr. 1988, no 85-43.293 : Bull. civ. V, no 133
Un débrayage, connu à l'avance par l'employeur, qui avait lieu à heure fixe et
pour une durée invariable, ne constitue pas une faute.
¨ Cass. soc., 10 oct. 1990, no 88-41.426 : Bull. civ. V, no 434
La répétition des arrêts de travail, même de courte durée, ne constitue pas un
abus du droit de grève dès lors que ces arrêts n'entraînent pas la
désorganisation de l'entreprise.
¨ Cass. soc., 10 juill. 1991, no 89-43.147 : Bull. civ. V, no 349
¨ Cass. soc., 7 avr. 1993, no 91-16.834 : Bull. civ. V, no 111
53 Exception : désorganisation volontaire
de l'entreprise
Les grèves courtes et répétées ne sont licites que « si ce mouvement ne procède
pas d'une volonté de désorganiser l'entreprise ou de nuire à sa situation
économique ».
¨ Cass. soc., 25 févr. 1988, no 85-43.293 : Bull. civ. V, no 133
Les juges ne peuvent pas retenir l'existence d'une faute lourde à l'égard des
grévistes sans préciser en quoi la forme qu'avaient revêtue les arrêts de
travail révélait une intention de nuire ni relever aucun fait caractérisant la
désorganisation de l'entreprise et une entrave à la liberté du travail.
¨ Cass. soc., 16 févr. 1989, no 87-42.572 : Bull. civ. V, no 133
La grève entraîne nécessairement une désorganisation de la production : les
arrêts de travail répétés ne seraient illicites que s'ils entraînaient une
désorganisation de l'entreprise elle-même.
¨ Cass. soc., 30 mai 1989, no 87-10.994 : Bull. civ. V, no 404
54 Grèves successives de différents services
On appelle couramment « grève tournante » une forme de grève consistant en des
arrêts de travail successifs des différents ateliers ou services d'une
entreprise. Comme pour les arrêts répétés de l'ensemble du personnel, la grève
tournante :
_ est en principe licite ;
¨ Cass. soc., 14 janv. 1960, no 58-40.009 : Bull. civ. IV, no 43
_ mais peut devenir abusive si elle entraîne une désorganisation de
l'entreprise.
¨ Cass. soc., 4 oct. 1979, no 78-40.271 : Bull. civ. V, no 679
Les grèves tournantes ou par roulement, selon les catégories de personnel, sont
illégales dans les services publics , en application des articles L. 521-3 et
L. 521-4 du Code du travail. Cette règle s'applique y compris quand le travail
s'effectue par équipes ayant des horaires différents.
¨ Cass. soc., 3 févr. 1998, no 95-21.735, CGFTE c/ Syndicat CGT et a. : Bull.
civ. V, no 55
55 à 57 (Réservés.)
Section 2
Sécurité de l'entreprise pendant
la grève
58 Service de sécurité
Dans une entreprise industrielle, commerciale ou de prestations de
services, la grève peut aboutir à une interruption totale de la production.
Mais il est des entreprises où il n'est pas possible que l'ensemble du
personnel cesse simultanément toute activité : c'est le cas en particulier des
établissements de soins ou d'éducation, dans lesquels les malades ou les élèves
hébergés dans l'établissement ne peuvent pas être laissés sans soins ni
surveillance.
Dans ce type d'entreprises, l'employeur est en droit de mettre en place
un service de sécurité, ou service minimum, en imposant à certains salariés de
ne pas participer à la grève.
59 Modalités de mise en place d'un service
de sécurité
A propos des établissements d'hospitalisation privés, l'administration a donné
les indications suivantes :
_ l'exercice du droit de grève doit concilier la défense des intérêts
professionnels et la sauvegarde de l'intérêt général, particulièrement dans les
établissements sanitaires où la sécurité des usagers exige une attention
spéciale ;
_ l'organisation d'un service minimum doit résulter, dans la mesure du
possible, de la négociation entre le chef d'établissement et les organisations
syndicales représentatives en vue d'assurer, notamment, le fonctionnement des
services qui ne peuvent être interrompus, la sécurité physique des personnes,
la continuité des soins et des prestations hôtelières ;
_ l'absence d'un service de sécurité serait de nature à engager la
responsabilité civile et pénale du chef d'établissement. Aussi, en cas d'échec
de la négociation, le chef d'établissement devrait prendre seul les mesures
nécessaires, les tribunaux pouvant être appelés à se prononcer sur le caractère
abusif, injustifié et restrictif des mesures prises ainsi unilatéralement ;
_ a posteriori, en cas d'accident, le refus d'un salarié désigné pour assurer
le service de sécurité serait constitutif d'une faute lourde.
¨ Circ. no DH-284-9 D, 21 févr. 1989 : BO SPSS no 89/11
60 Le service de sécurité ne doit pas porter
atteinte au droit de grève
Les juges du fond doivent vérifier si l'employeur n'a pas limité abusivement
l'exercice du droit de grève en imposant un service de sécurité d'une
importance excessive. Ils peuvent ainsi annuler les sanctions infligées à des
salariés ayant refusé de participer à ce service s'ils constatent que ce
service était anormalement lourd pour assurer la stricte sécurité des
personnes.
¨ Cass. soc., 1er juill. 1985, no 82-43.804 : Bull. civ. V, no 376
61 Obligations des salariés assurant
le service de sécurité
L'agent de maîtrise affecté aux services de sécurité, qui refuse de participer
aux travaux de sauvetage d'une mine noyée, commet une faute lourde en raison de
ses fonctions et de la connaissance qu'il avait des conséquences graves de son
refus.
¨ Cass. soc., 14 juin 1958, no 5.085 : Bull. civ. IV, no 741
Mais ne commet pas une faute lourde le salarié qui, au cours d'une grève, a
reçu un ordre de service lui demandant de venir à la mine, a promis verbalement
d'assurer son service puis s'est finalement abstenu, dès lors qu'il n'est pas
justifié que ce salarié était affecté à un service de sécurité ni que son
absence était susceptible de préjudicier aux installations.
¨ Cass. soc., 15 févr. 1961, no 59-40.944 : Bull. civ. IV, no 203
Par ailleurs, est justifié le licenciement d'un agent de maîtrise qui, au cours
d'une réunion, exhorte ses collègues à abandonner les services de sécurité.
¨ Cass. soc., 17 avr. 1958, no 4.602 : Bull. civ. IV, no 493
62 Obligations des grévistes en matière
de sécurité et de préservation des biens
Il est généralement admis que l'arrêt du travail ne doit entraîner aucune
détérioration des matériels et des produits.
Si les arrêts de travail ont lieu en respectant les consignes de sécurité
applicables dans l'entreprise, et si pendant les six heures nécessaires à
l'arrêt progressif des machines la production continue à s'écouler alors que
les ouvriers se livrent pendant ce temps à des travaux utiles de mise au point
du matériel, les grévistes doivent être payés pour ces six heures.
¨ Cass. soc., 15 avr. 1983, no 80-42.213 : Bull. civ. V, no 198
La clause d'une convention collective imposant de prendre des mesures de
sauvegarde des marchandises ne constitue pas une clause imprécise équivalent à
prohiber la grève. Commettent donc une faute engageant leur responsabilité les
représentants du personnel qui donnent aux salariés occupés à ces mesures de
sauvegarde l'ordre de quitter leur poste pour aller rejoindre les grévistes.
¨ Cass. soc., 8 déc. 1983, no 80-14.322 : Bull. civ. V, no 602
Est considéré comme manifestement illicite le fait pour des grévistes d'imposer
le fonctionnement réduit d'une usine d'incinération, ce qui présentait des
risques de pollution et empêchait, en neutralisant le turbo-alternateur, la
complémentarité des différentes fonctions de l'installation, nécessaire pour la
protection de la sécurité et de la salubrité publiques.
¨ Cass. soc., 26 févr. 1992, no 90-15.459 : Bull. civ. V, no 125
63 Responsabilité de l'employeur
Le chef d'entreprise demeure responsable de la sécurité pendant la grève, et
doit donc prendre toute mesure nécessaire pour qu'elle soit assurée. En cas
d'occupation des locaux, il doit notamment informer les grévistes des risques
particuliers qu'ils encourent du fait par exemple de l'utilisation éventuelle
de certaines machines ou de certains produits.
64 Interdiction de faire intervenir des entreprises ou
des services de surveillance ou de gardiennage
Il est interdit aux entreprises exerçant des activités de surveillance, de
gardiennage, de transport de fonds ou de sécurité des personnes « de s'immiscer
ou d'intervenir à quelque moment et sous quelque forme que ce soit dans le
déroulement d'un conflit du travail ou d'événements s'y rapportant ».
L. no 83-629, 12 juill. 1983, art. 4 : JO, 13 juill.
La même interdiction s'applique aux services internes d'une entreprise qui
exercent ces activités.
L. no 83-629, 12 juill. 1983, art. 11 : JO, 13 juill.
65 à 67 (Réservés.)
Section 3
Remplacement
des grévistes
68 Principe
Que la grève soit totale ou partielle, l'employeur a tout intérêt à essayer de
remplacer les grévistes (ou une partie de ceux-ci) pour limiter la baisse de
production engendrée par la grève.
Mais certains modes de remplacement lui sont
formellement interdits par la loi.
69 Interdiction de l'intérim
En aucun cas, un contrat de travail temporaire ne peut être conclu pour
remplacer un salarié dont le contrat de travail est suspendu par suite d'un
conflit collectif de travail.
C. trav., art. L. 124-2-3, 1o
Cet article a été modifié à plusieurs reprises. Dans sa rédaction antérieure à
la loi du 12 juillet 1990, il interdisait de « faire appel aux salariés
des entreprises de travail temporaire » pour remplacer un gréviste ; il
n'interdit plus aujourd'hui que de « conclure un contrat de travail temporaire
» pour un tel remplacement : on peut en conclure que des intérimaires embauchés
avant la grève pourraient être affectés aux postes de travail laissés vacants
par les grévistes, si ces postes correspondent à leur qualification
professionnelle et à la tâche pour laquelle ils ont été embauchés. Mais si un
intérimaire a été recruté, avant la grève, pour remplacer un salarié absent, le
nom du remplacé doit figurer dans le contrat de l'intérimaire : on ne saurait
donc admettre qu'il soit affecté, pendant sa mission, à un autre poste et
notamment à celui d'un gréviste.
70 Interdiction du contrat à durée déterminée
En aucun cas un contrat de travail à durée déterminée ne peut être conclu pour
remplacer un salarié dont le contrat de travail est suspendu par suite d'un
conflit collectif de travail.
C. trav., art. L. 122-3, 1o
Les dispositions de cet article sont d'ordre public, et s'appliquent également
à des établissements publics comme La Poste.
¨ Cass. 1re civ., 19 mai 1998, no 97-13.916, La Poste c/ Syndicat
départemental CGT-PTT : Bull. civ. I, no 182
Comme pour l'intérim, le recours à un salarié sous contrat à durée déterminée
pour remplacer un gréviste ne serait possible que s'il a été recruté, avant la
grève, pour une tâche occasionnelle et non s'il remplace un salarié absent (qui
doit être nommément désigné dans son contrat).
71 Recours aux non-grévistes
Si la grève n'est que partielle, l'employeur est en droit d'affecter
momentanément certains non-grévistes aux postes vacants, si ces postes
correspondent à leur qualification. Il peut aussi faire accomplir des heures
supplémentaires aux salariés qui ne sont pas en grève.
¨ Cass. soc., 15 févr. 1979, no 76-14.527 : Bull. civ. V, no 143
L'employeur n'a cependant pas le droit de supprimer une prime prévue au profit
des personnes présentes les jours travaillés mais qui peut être supprimée pour
indiscipline, refus d'obéissance, faute professionnelle ou négligence, à un
salarié non gréviste qui a refusé d'occuper le poste d'un salarié gréviste, car
cette suppression constitue une sanction pécuniaire prohibée.
¨ Cass. soc., 16 févr. 1994, no 90-45.915 : Bull. civ. V, no 56
72 Les grévistes ne peuvent pas s'opposer à leur
remplacement
Les salariés d'une entreprise de nettoyage qui se mettent en grève et
s'opposent à ce que des contremaîtres de l'entreprise où ils sont détachés
assurent le nettoyage à leur place commettent une faute lourde du fait qu'ils
s'opposent au travail d'autrui, même si les personnes désignées pour les
remplacer ne sont pas normalement affectées à cette tâche.
¨ Cass. soc., 12 janv. 1983, no 80-41.535 : Bull. civ. V, no 12
Mais il n'y a pas faute lourde quand un gréviste s'oppose à ce qu'un
contremaître utilise la machine d'un autre gréviste, si cet incident avait pris
fin rapidement.
¨ Cass. soc., 25 juin 1981, no 79-42.197 : Bull. civ. V, no 596
73 Recours à des entreprises extérieures
L'employeur est en droit de faire appel à des entreprises de services
(sauf des entreprises de travail temporaire : v. no 70) ou de
conclure des contrats de sous-traitance pour faire réaliser une partie de
l'activité de l'entreprise.
La grève des chauffeurs d'une entreprise de transports n'interdit pas à
celle-ci d'user et de disposer de ses véhicules et de recourir, sinon à du
personnel d'entreprise de travail temporaire, du moins à tout autre salarié ou
à d'autres entreprises de transports.
¨ Cass. soc., 15 févr. 1979, no 76-14.527 : Bull. civ. V, no 143
74 Recours à des bénévoles
En cas de grève, il n'est pas interdit à l'employeur d'organiser l'entreprise
pour assurer la continuité de son activité. Il en résulte que ce dernier peut
accepter le concours de bénévoles pour remplacer des salariés grévistes.
¨ Cass. soc., 11 janv. 2000, no 97-22.025 : Bull. civ. V, no 15
A cet égard, il faut toutefois préciser qu'une activité bénévole peut être
assimilée à du travail dissimulé au sens des articles L. 324-9 et
suivants du Code du travail. En effet, en cas de litige, les juges examinent
dans chaque situation les circonstances dans lesquelles l'activité est exercée,
et vérifient notamment qu'il n'existe pas de lien de subordination, critère du
contrat de travail. Pour plus de précisions sur ce point, on se reportera à
l'étude "Travail dissimulé".
75 Problème de l'embauche sous contrat à durée
indéterminée
Il n'est pas légalement interdit d'embaucher, pendant une grève, des salariés
sous contrat à durée indéterminée. Cette embauche ne pose aucun problème si
l'entreprise est en mesure de conserver ces salariés après la fin de la grève ;
mais si elle décide de s'en séparer dès le retour des grévistes, des
difficultés risquent de surgir quant à la validité des licenciements ainsi
opérés.
En pratique, les entreprises ont, semble-t-il, très peu recours à ce type
d'embauche.
76 à 78 (Réservés.)
Section 4
Situation
des non-grévistes
79 Le choix de ne pas faire grève
Le droit de grève, même s'il s'exerce collectivement, reste néanmoins un droit
individuel que tout salarié peut choisir d'exercer ou de ne pas exercer.
80 Le droit au travail des non-grévistes
L'employeur est tenu de fournir du travail aux salariés qui ne participent pas
à la grève.
Par ailleurs, le Code pénal punit de peines d'amende et/ou d'emprisonnement le
délit d'entrave à la liberté du travail (v. no 276).
81 Le droit au salaire des non-grévistes
En l'absence de force majeure, l'employeur n'est pas libéré de ses obligations
vis-à-vis du personnel non gréviste qui est demeuré à sa disposition pour
travailler.
¨ Cass. soc., 19 déc. 1983, no 80-42.067 : Bull. civ. V, no 630
Même s'ils sont en fait empêchés de travailler (par suite notamment de
l'occupation des locaux par les grévistes), les non-grévistes ont droit à une
indemnité équivalant au salaire qu'ils auraient dû percevoir.
Le chômage technique n'est justifié que dans le cas où l'employeur prouve qu'il
s'est trouvé dans une situation contraignante l'empêchant de fournir du travail
au personnel non gréviste.
¨ Cass. soc., 26 févr. 1992, no 89-41.673 : Bull. civ. V, no 126
82 Non-paiement en cas de force majeure
Si l'employeur se trouve dans l'impossibilité absolue de fournir du travail aux
non-grévistes, il n'est plus tenu de les rémunérer.
Mais l'employeur qui, à la suite d'un mouvement de grève, procède à une
fermeture de l'entreprise, doit apporter la preuve d'une situation
contraignante de nature à le libérer de son obligation de fournir du travail à
ses salariés.
¨ Cass. soc., 11 mars 1992, no 90-42.817 : Bull. civ. V, no 168
Il y a impossibilité absolue lorsque les grévistes occupent les lieux de
travail et en interdisent l'accès au moyen de piquets de grève, et que le
préfet a refusé de faire évacuer les locaux par la force publique.
¨ Cass. soc., 6 oct. 1971, no 71-40.105 : Bull. civ. V, no 542
C'est à partir du moment où le délai accordé par le juge des référés aux
grévistes pour quitter les lieux est dépassé et que le préfet refuse de faire
intervenir les forces de l'ordre, que la situation contraignante est
caractérisée. Jusqu'à ce délai, l'employeur est tenu de rémunérer les salariés
non-grévistes.
¨ Cass. soc., 27 mai 1998, no 96-42.303, Sté ECCO c/ Bacholle et a. :
Bull. civ. V, no 280
L'employeur peut aussi se trouver contraint de fermer totalement l'entreprise
pendant la durée de la grève (v. l'étude "Lock-out" ), notamment pour
des raisons de sécurité : il se trouve alors délié de son obligation de
rémunérer les non-grévistes.
¨ Cass. soc., 18 janv. 1979, no 77-40.982 : Bull. civ. V, no 52
Mais dans tous les cas, l'employeur devra prouver la force majeure,
c'est-à-dire l'impossibilité absolue de faire fonctionner l'entreprise. Il
n'est pas en droit d'insérer dans les contrats de travail de ses salariés une
clause selon laquelle tout mouvement de grève constituerait un cas de force
majeure et le libérerait de ses obligations : les salariés concernés peuvent
saisir les tribunaux pour faire constater le caractère illicite d'une telle
disposition au cas où l'employeur entendrait s'en prévaloir à l'issue d'une
grève.
¨ Rép. min. no 34407 JOAN CR 5 mars 1977, p. 981
83 à 85 (Réservés.)
Section 5
Situation
des représentants du personnel
86 La grève ne suspend pas leur mandat
Si les représentants du personnel (délégués et représentants syndicaux,
délégués du personnel, membres du comité d'entreprise ou du CHSCT) participent
à la grève, leur contrat de travail se trouve suspendu comme celui des autres
grévistes. Mais leur mandat représentatif ne se trouve pas pour autant
suspendu.
La grève n'est pas de nature à interrompre l'exercice des mandats des
représentants du personnel et laisse à ceux-ci la liberté de circuler dans
l'établissement pour l'exécution de leurs missions.
¨ Cass. crim., 4 nov. 1981, no 81-90.919, Garin et a
La grève ne suspend pas le mandat de représentation.
¨ Cass. soc., 27 févr. 1985, no 82-40.173 : Bull. civ. V, no 124
87 Rôle des représentants du personnel
pendant la grève
Ils ont généralement un rôle important d'« intermédiaire » entre les grévistes
et la direction de l'entreprise. C'est le cas en particulier des délégués
syndicaux, qui vont négocier avec l'employeur et éventuellement conclure des
accords, et du comité d'entreprise qui doit être informé et consulté sur les
mesures envisagées par l'employeur du fait de la grève qui auraient pour effet
de modifier les conditions de travail.
Lorsqu'un délégué du personnel exerce au cours d'une grève son mandat de façon
normale, ce qui implique sa présence sur les lieux du conflit et le conduit à
être l'interlocuteur de l'employeur, des salariés non grévistes et des tiers
dans la transmission des décisions collectives prises par les participants à la
grève, aucune faute lourde ne peut être établie à son encontre.
¨ Cass. soc., 16 juill. 1987, no 84-40.941 : Bull. civ. V, no 477
88 Délit d'entrave
L'employeur qui s'oppose à l'exercice du mandat des représentants du personnel
pendant une grève commet le délit d'entrave. Il en est ainsi du chef
d'établissement qui refuse à des délégués du personnel et des délégués
syndicaux le droit d'accéder aux lieux de travail pour vérifier si les mesures
de sécurité avaient bien été prises : le fait que la responsabilité de la
sécurité des travailleurs incombe à l'employeur n'est pas de nature à exclure
toute possibilité de contrôle de la part des représentants du personnel.
¨ Cass. crim., 4 nov. 1981, no 81-90.919, Garin et a
89 Heures de délégation ; circonstances
exceptionnelles
Les missions accomplies par les représentants du personnel pendant la grève
doivent leur être payées au titre de leur crédit d'heures.
De plus, la grève constitue a priori une circonstance exceptionnelle justifiant
le dépassement du crédit mensuel légal et donc le paiement des heures prises
au-delà de ce crédit : les démarches d'un représentant du personnel au cours
d'un mouvement revendicatif constituent l'exemple même de circonstances
exceptionnelles.
¨ Cass. soc., 26 janv. 1966, no 65-40.206 : Bull. civ. IV, no 113
Mais une courte grève de trois jours, ne concernant qu'un seul service et une
petite fraction de l'effectif, ne représente pas une circonstance
exceptionnelle.
¨ Cass. soc., 19 févr. 1975, no 73-40.684 : Bull. civ. V, no 79
90 Protection contre le licenciement
Comme tout autre gréviste, un représentant du personnel ne peut être licencié
qu'en cas de faute lourde. La procédure protectrice (avis du comité et/ou
autorisation de l'inspecteur du travail) doit être respectée : voir l'étude
"Représentants du personnel" (qui contient en annexe un catalogue de
jurisprudence donnant des exemples de fautes commises à l'occasion de grèves).
91 à 94 (Réservés.)
Section 6
Secours aux grévistes
95 Situation financière des grévistes
La grève entraînant le plus souvent le non-paiement du salaire (v. no 128), les
grévistes risquent de se trouver dans une situation financière critique si leur
arrêt de travail se prolonge plusieurs semaines, voire plusieurs mois. En
effet, ils n'ont pas droit aux indemnités de chômage, ni à la rémunération
mensuelle minimale prévue par l'article L. 141-11 du Code du travail.
Ils peuvent cependant, à certaines conditions, recevoir des aides financières
de différentes sources.
96 Secours du comité d'entreprise
Le comité n'est pas en droit de consacrer les fonds qui lui sont attribués pour
la gestion des activités sociales et culturelles à des aides systématiques à
tous les grévistes.
Mais il a le droit d'attribuer des secours à ceux des grévistes qui subissent
des difficultés particulières.
Une telle attribution constitue une oeuvre sociale non discriminatoire si elle
n'est pas décidée pour avantager les grévistes au détriment des non-grévistes,
si les secours sont destinés à aider les seules familles dans le besoin et non
à compenser systématiquement les pertes de salaires des grévistes.
¨ Cass. soc., 8 juin 1977, no 75-13.681 : Bull. civ. V, no 380
Est également valable la décision d'un comité de verser une allocation de
secours aux salariés ayant une situation difficile, d'un montant proportionné à
leur situation personnelle, et qui n'a pas été accordée systématiquement à tous
les grévistes. De plus, ce versement ayant été décidé plus d'un mois après
la fin de la grève n'avait pas eu pour but ou pour résultat d'influer sur le
déroulement de cette grève.
TGI Paris, 15 mars 1983 : Juri-soc. no 64, janv. 1984
97 Secours des syndicats
Les organisations syndicales peuvent organiser des collectes auprès de leurs
adhérents ou sympathisants pour venir en aide à des grévistes. Certaines
confédérations ont d'ailleurs créé des caisses de secours permanentes.
98 Secours des collectivités locales : en
principe interdits
Il n'appartient pas au conseil municipal, chargé de régler par ses
délibérations les affaires de la commune, d'intervenir dans un conflit
collectif du travail en apportant son soutien financier à l'une des parties en
litige.
¨ CE, 20 nov. 1985, no 57139, Commune d'Aigues-Mortes
¨ CE, 11 oct. 1989, no 89325, Commune de Gardanne : Rec. CE , p. 188
¨ CE, 12 oct. 1990, no 91325, Commune de Champigny-sur-Marne
En revanche, un conseil municipal ou un conseil général ne s'est pas immiscé
dans un conflit collectif du travail mais a entrepris, à des fins sociales, une
action présentant un objet d'utilité communale ou départementale en décidant
d'accorder la gratuité des restaurants scolaires aux enfants des grévistes ou
d'assurer aux familles des grévistes dont les enfants sont inscrits dans une
crèche départementale la gratuité des prestations pendant la période de grève.
¨ CE, 11 oct. 1989, no 89628, Commune de Port-Saint-Louis-du-Rhône : Rec.
CE , p. 184
¨ CE, 12 oct. 1990, no 90468, Département du Val-de-Marne
99 à 103 (Réservés.)
Section 7
Occupation des locaux et
piquets de grève
104 Occupation des locaux et piquets
de grève illicites
L'exercice normal du droit de grève ne peut porter atteinte à la liberté du
travail des non-grévistes et à la liberté du travail de l'entrepreneur.
Les piquets de grève qui interdisent l'accès au travail aux représentants de la
direction, aux cadres et aux salariés non grévistes sont illicites.
CA Paris, 16 mai 1988, SNECMA : Jurispr. soc. UIMM no 88-507
L'occupation des locaux qui porte atteinte à la liberté du travail et à
l'exercice par un entrepreneur de son industrie est illicite.
¨ Cass. soc., 21 juin 1984, no 82-16.596 : Bull. civ. V, no 263
105 Occupation des locaux et piquets
de grève licites
Les piquets de grève ne constituent pas un usage abusif du droit de grève
lorsqu'ils n'entravent pas la liberté du travail et le fonctionnement de
l'entreprise.
TGI Caen, 19 avr. 1985, Sté Les Ciments français (Ord. réf.) : Gaz. Pal.
no 346-347 du 12/13 déc. 1986
Lorsque l'occupation de l'entreprise par les grévistes n'a eu qu'un caractère
symbolique et qu'aucune entrave n'a été apportée à la liberté du travail, la
faute lourde est écartée.
¨ Cass. soc., 26 févr. 1992, no 90-40.760 : Bull. civ. V, no 124
De même, lorsque les grévistes se sont bornés à occuper le réfectoire, sans
aucune entrave à la liberté des non-grévistes, leur responsabilité ne peut être
engagée.
¨ Cass. soc., 19 déc. 1990, no 89-14.576 : Bull. civ. V, no 698
L'occupation des locaux n'est pas illicite lorsqu'elle a pour but de sauvegarder
le droit au travail et de préserver l'outil de travail : occupation de locaux
par les salariés grévistes pour empêcher le déménagement des machines par
l'employeur.
TGI Châteauroux, 26 avr. 1976, SNIAS : RPDS 1976, p. 211
L'occupation des locaux peut être considérée comme une réponse légitime à
l'entrave au droit de grève commis par l'employeur :
_ lorsque l'employeur refuse toute discussion ;
_ ou pour empêcher l'employeur de recourir à du personnel temporaire.
TGI Grenoble, 28 nov. 1979, Sté Le Trappeur : DO 1980, p. 32
106 Demande d'expulsion au juge des référés
En application de l'article 809 du Nouveau Code de procédure civile, le juge
peut prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui
s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un
trouble manifestement illicite.
L'employeur qui considère que l'occupation des locaux est manifestement
illicite car elle entrave la liberté du travail peut saisir le juge des
référés.
Toutefois, pour que la procédure de référé puisse être mise en oeuvre il faut
deux conditions :
_ l'urgence ;
_ l'absence de contestation sérieuse.
NCPC, art. 808
Il n'y a pas urgence lorsque :
_ le personnel doit se prononcer le jour même sur la poursuite de la grève (TGI
Beauvais [référés], 24 oct. 1972 : DO 1973, p. 162) ;
_ la sécurité des biens et des locaux industriels est assurée (TGI Villefranche
[référés], 23 sept. 1954 : D. 1955, somm. 23).
Il n'y a pas contestation sérieuse lorsque :
_ le conflit collectif est motivé par le licenciement illégal d'un délégué (TGI
Arras [référés], 28 déc. 1965 : DO 1966, p. 126) ;
_ le règlement du conflit relève des organismes de conciliation compétents mis
en place par les conventions collectives (TGI Lyon [référés] cité par Saint-Jours
: D. 1974, chron. p. 137) ;
_ la grève avec occupation est liée à d'autres grèves, des discussions étant en
cours au plan national entre les partenaires sociaux (TGI Paris [référés],
2 juin 1968 : GP 1968, II-104) ;
_ il n'y a pas d'obstacle au travail des non-grévistes (TGI Limoges [référés],
9 mars 1990 : DO 1990, p. 281).
107 Compétence de plein droit ou compétence
conditionnelle du juge des référés ?
Une voie moyenne semble s'être dégagée : elle consiste pour le juge des référés
saisi, à ordonner dans un premier temps des mesures d'instruction pour savoir
si, compte tenu des éléments du conflit, l'occupation constitue ou non une voie
de fait, et ce n'est qu'en un deuxième temps _ s'il est convaincu par les
mesures d'expertise qu'une solution négociée est possible (car ne se heurtant
pas à une obstruction systématique de l'employeur) _ que le juge ordonnera
l'expulsion des grévistes.
TGI Bobigny, 12 févr. 1974 (référés) : D. 1974, J. 784
TGI Bobigny, 8 mars 1974 (référés) : GP 1974, I-378
TGI Évry-Corbeil, 4 janv. 1974 (référés) : D. 1974, J. 784
TGI Paris, 22 févr. 1974 (référés) : D. 1974, J. 785
108 Portée de l'ordonnance d'expulsion rendue par
le juge des référés
Dans la plupart des cas, il sera matériellement impossible à l'employeur
d'assigner, devant les juges des référés, chacun des grévistes pris nommément,
pour demander son expulsion.
Dès lors, se pose la question de la portée de l'ordonnance d'expulsion rendue
en référés, puisqu'il est de règle que les décisions de justice ne puissent avoir
d'effet qu'à l'égard des personnes nommément désignées dans l'assignation.
Cette règle, plusieurs décisions l'ont fait prévaloir en ordonnant l'expulsion
des seules personnes citées, généralement délégués syndicaux ou représentants
élus du personnel.
CA Orléans, 19 avr. 1972 (référés) : DO 1972, p. 513
TGI Bordeaux, 26 juin 1968 (référés) : JCP éd. G 1968, no 15599
TGI Orléans, 8 mars 1975 (référés) : JCP/CI 1975, no 11767
D'autres tribunaux considèrent que les élus du personnel ou les délégués
syndicaux, du fait de leur mandat, représentent tout le personnel occupant les
locaux de travail ; tous les grévistes se trouvent donc ainsi visés par
l'ordonnance d'expulsion rendue contre les seuls élus du personnel ou délégués
syndicaux.
CA Paris, 30 juin 1970 : D. 1970, J. 550
CA Rennes, 5 juin 1972 : JCP éd. G 1973, no 17327
TGI Caen, 2 mars 1974 (référés) : GP no S. 114/115 des 24 et
25 avr. 1974
CA Amiens, 11 févr. 1976 : D. 1976, somm. 30
109 Demande d'expulsion au président
du tribunal de grande instance statuant par ordonnance sur requête
Une autre possibilité a été admise par la Cour de cassation : celle d'obtenir,
en s'adressant au président du tribunal de grande instance, une ordonnance sur
requête ordonnant l'expulsion de l'ensemble des grévistes, ceci en raison de
l'urgence à prévenir un dommage imminent, de la difficulté pratique d'appeler
individuellement en cause tous les occupants et de la possibilité pour les
dirigeants de fait du mouvement de grève de présenter les moyens de défense
communs à l'ensemble du personnel.
¨ Cass. soc., 17 mai 1977, no 75-11.474 : Bull. civ. V, no 327
110 Concours de la force publique pour
l'exécution de l'ordonnance d'expulsion
L'employeur qui a obtenu une ordonnance de référé ordonnant l'évacuation et
revêtue de la formule exécutoire peut, si les grévistes refusent l'évacuation,
demander l'intervention de la force publique, soit au maire, soit à
l'administration préfectorale.
L'autorité administrative peut, en invoquant les nécessités de l'ordre public,
refuser le concours de la force publique (en ce cas, l'employeur pourra
réclamer à l'État des dommages et intérêts pour le préjudice à lui causé par
cette carence administrative (v. nos 266 et s.).
CE, 3 juin 1938 : D. 1938, J. 241
De même si, pour des raisons tirées de l'ordre public, l'administration a
décidé de différer l'intervention de la force publique, l'employeur pourra
prétendre se faire indemniser par l'État, pour la prolongation de l'occupation
de l'entreprise au-delà du délai dont l'administration doit naturellement
disposer pour intervenir.
CE, 31 déc. 1951
Sur la responsabilité de l'État, voir nos 266 et s.
111 Demande d'expulsion des grévistes par
la force publique en l'absence même de décision judiciaire
La Cour de cassation admet que l'employeur s'adresse directement à l'autorité
administrative, en l'absence même d'une décision judiciaire, pour lui demander
de procéder à l'expulsion. Le refus d'intervention de l'autorité administrative
met alors l'employeur dans « l'impossibilité de faire travailler les
non-grévistes ».
L'employeur se trouve de ce fait dispensé de verser aux non-grévistes toute
indemnité compensatrice.
¨ Cass. soc., 6 oct. 1971, no 71-40.105 : Bull. civ. V, no 542
112 à 115 (Réservés.)
Chapitre 4
Les conséquences
de la grève
Section 1
Conséquences sur les contrats
de travail
116 La suspension du contrat de travail
des grévistes
L'article L. 521-1 du Code du travail dispose expressément que « la grève ne
rompt pas le contrat de travail, sauf faute lourde imputable au salarié ». Pour
toute la durée de la grève, le contrat de travail se trouve donc simplement
suspendu ; il en résulte toute une série de conséquences tant en ce qui
concerne le lien de subordination caractéristique du contrat de travail que
l'exécution des obligations nées du contrat.
117 Maintien du lien entre le gréviste et
l'entreprise
Le salarié en grève, bien qu'il cesse d'être tenu de fournir le travail, n'en
continue pas moins à faire partie du personnel de l'entreprise : il ne peut
aller travailler chez un autre employeur, sous peine de se voir imputer la
rupture du contrat.
¨ Cass. soc., 13 oct. 1955, no 2.918 : Bull. civ. IV, no 701
Inversement, l'employeur ne peut, pour le licencier, prendre prétexte de
l'absence prolongée d'un salarié, dès lors que cette absence est due à une
grève de caractère licite, suivie par une partie du personnel de l'entreprise.
¨ Cass. soc., 5 juill. 1965, no 62-40.136 : Bull. civ. IV, no 546
118 Impossibilité de sanctionner ou
de licencier pour exercice normal du droit de grève
Sauf le cas de faute lourde, aucun salarié ne peut être sanctionné ou licencié
en raison de l'exercice normal du droit de grève. Toute disposition ou tout
acte contraire est nul de plein droit.
C. trav., art. L. 122-45, al. 2 et 3
La nullité du licenciement d'un salarié gréviste n'est pas limitée au cas où le
licenciement est prononcé pour avoir participé à une grève. Elle s'étend à tout
licenciement d'un salarié prononcé en raison d'un fait commis au cours de la
grève à laquelle il participe et qui ne peut être qualifié de faute lourde.
¨ Cass. soc., 22 janv. 1992, no 90-44.249 : Bull. civ. V, no 19
Sanction ou licenciement sont soumis au même régime. C'est ce que réaffirme la
Cour de cassation dans un arrêt du 7 juin 1995 : « un salarié gréviste ne
peut être licencié ou sanctionné à raison d'un fait commis à l'occasion de la
grève à laquelle il participe que si ce fait est constitutif d'une faute lourde
».
¨ Cass. soc., 7 juin 1995, no 93-42.789 : Bull. civ. V, no 181
En l'absence de faute lourde, les salariés grévistes ne peuvent faire l'objet
d'une mise à pied.
¨ Cass. soc., 16 déc. 1992, no 91-41.215 : Bull. civ. V, no 592
119 Suspension de l'application du règlement
intérieur
Aucun salarié ne pouvant être sanctionné en raison de l'exercice normal du droit
de grève et le contrat de travail étant suspendu, le pouvoir disciplinaire de
l'employeur ne peut plus s'exercer et le règlement intérieur ne peut plus
recevoir application.
L'exécution du contrat de travail étant suspendue, un employeur ne peut se prévaloir
du règlement intérieur de l'entreprise pour infliger une sanction disciplinaire
à un gréviste.
¨ Cass. soc., 4 juill. 1972, no 71-40.592 : Bull. civ. V, no 482
Le pouvoir disciplinaire de l'employeur continue cependant à s'appliquer
jusqu'au moment où le droit de grève est exercé, c'est ainsi que l'obligation
de pointer en fin de travail, faite par note de service, doit être respectée
par les salariés, avant tout débrayage, c'est-à-dire jusqu'au moment où ils
exercent leur droit de grève.
¨ Cass. soc., 24 mai 1972, no 71-40.637 : Bull. civ. V, no 372
120 Possibilité de licencier pour faute lourde
Le contrat de travail d'un salarié gréviste ne peut être résilié qu'en cas de
faute lourde imputable à ce salarié.
C. trav., art. L. 521-1
(Sur la notion de faute lourde, on se reportera aux nos 217 et s.)
A noter qu'en cas de faute lourde, l'employeur peut choisir d'infliger une
sanction disciplinaire moindre que le licenciement. Il doit alors respecter le
règlement intérieur : si l'employeur, après avoir engagé une procédure de
licenciement pour faute lourde, décide d'infliger une mise à pied, la durée de
celle-ci ne peut être supérieure à la durée prévue par le règlement intérieur.
¨ Cass. soc., 27 févr. 1985, no 83-44.955 : Bull. civ. V, no 122
121 à 125 (Réservés.)
Section 2
Conséquences sur la rémunération
Sous-section 1
Conséquences sur les salaires
126 L'interdiction des mesures discriminatoires
L'exercice du droit de grève ne peut donner lieu de la part de l'employeur à
des mesures discriminatoires en matière de rémunération et d'avantages sociaux.
C. trav., art. L. 521-1
La portée de ce principe affirmé par la loi no 78-753 du 17 juillet
1978 a été définie par la jurisprudence notamment en ce qui concerne les primes
d'assiduité (v. no 138).
127 L'interdiction des sanctions pécuniaires
L'article L. 122-42 du Code du travail prohibe les amendes et autres sanctions
pécuniaires.
Les salariés grévistes ne doivent subir qu'une retenue de salaire correspondant
au temps exact de leur cessation concertée de travail ; la retenue effectuée
au-delà de cette limite constitue une sanction pécuniaire prohibée.
¨ Cass. soc., 16 mai 1989, no 85-45.244 : Bull. civ. V, no 364
En cas de débrayages de courte durée, la retenue pratiquée sur le salaire des
grévistes, à qui est reprochée la mauvaise exécution de leurs obligations, peut
être considérée comme une sanction pécuniaire prohibée.
¨ Cass. soc., 17 avr. 1991, no 89-43.127 : Bull. civ. V, no 198
Une réduction de salaire faisant suite à une grève perlée ayant consisté en une
baisse volontaire de la production s'analyse en une sanction pécuniaire
illicite, dès lors que les salariés ne sont pas rémunérés en fonction du
rendement.
¨ Cass. soc., 12 avr. 1995, no 91-40.593 : Bull. civ. V, no 133
128 Suppression du salaire correspondant
au temps de grève
La grève ayant pour effet de suspendre l'exécution du contrat de travail,
l'employeur n'est pas tenu de payer le salaire pendant la période de cessation
du travail.
¨ Cass. soc., 20 févr. 1991, no 89-41.148 : Bull. civ. V, no 80
L'employeur est délié de son obligation de payer le salaire pendant l'exercice
du droit de grève, lequel suspend l'exécution du contrat de travail pendant
toute la durée de l'arrêt de travail. Le salarié qui s'est associé au mouvement
doit être considéré comme gréviste pour toute la durée de ce mouvement. Il ne
peut prétendre en conséquence au paiement des jours de repos ou des jours
fériés chômés inclus dans une période de grève.
¨ Cass. soc., 24 juin 1998, no 97-43.877, Cie Air France Europe-Air France
c/ Thibault et a.
¨ Cass. soc., 24 juin 1998, no 96-44.235, Nio et a. c/ Lanvaux
Le principe de la suppression du salaire des grévistes peut cependant être
écarté :
_ par accord de fin de conflit entre les parties (v. no 180) ;
_ lorsque l'employeur a manqué de façon grave et délibérée à ses obligations,
les grévistes qui ont cessé le travail pour faire respecter leurs droits
essentiels, ont droit au paiement d'une indemnité compensant la perte de leurs
salaires, par exemple, grève déclenchée pour obtenir le paiement régulier des
salaires, ou bien motivée par le non-respect de ses engagements par
l'employeur, qui avait enlevé les moyens permettant à l'établissement de
fonctionner normalement et aux salariés d'accomplir leur prestation de travail.
¨ Cass. soc., 27 nov. 1990, no 88-45.790 : Bull. civ. V, no 590
¨ Cass. soc., 26 févr. 1992, no 89-41.673 : Bull. civ. V, no 126
De même, l'employeur qui refuse de supprimer une prime illicite manque de
manière grave et délibérée à ses obligations et crée pour les salariés une
situation contraignante les obligeant à cesser le travail pour obtenir que les
dispositions légales et conventionnelles soient respectées.
¨ Cass. soc., 21 mai 1997, no 95-42.542 : Bull. civ. V, no 183
A l'inverse, il a été jugé dans d'autres espèces, que l'employeur ne manquait
pas de manière grave et délibérée à ses obligations.
Ainsi, le fait pour l'employeur de prendre une mesure discriminatoire en
accordant à des salariés une prime plus élevée que celle allouée aux salariés
grévistes, s'il s'agit d'un fait fautif, ne constitue pas un manquement grave
et délibéré de ces obligations et n'est pas de nature à contraindre les
salariés à une cessation concertée du travail, qui l'obligerait à indemniser
les salariés grévistes.
¨ Cass. soc., 2 mars 1994, no 92-41.134 : Bull. civ. V, no 75
Pour que les grévistes aient droit à une indemnité correspondant à la perte de
leur salaire, le manquement de l'employeur doit donc être grave et délibéré.
A cet égard, il a été jugé que ne constitue pas un manquement délibéré de
l'employeur à ses obligations le retard dans le paiement des salaires (cause de
la grève), lorsqu'il est la conséquence de difficultés financières de
l'entreprise mise en redressement judiciaire.
¨ Cass. soc., 28 oct. 1997, no 96-41.780, Esposito et a. c/ Blanchard et
a. : Bull. civ. V, no 335
¨ Cass. soc., 26 janv. 2000, no 98-44.177 : Bull. civ. V, no 37
129 Suppression du salaire limitée au temps
de grève
Les heures effectuées avant ou après l'arrêt de travail résultant de la grève
doivent être rémunérées.
Tout travail accompli normalement avant le début de la grève doit être rémunéré
au salaire convenu.
¨ Cass. soc., 16 mai 1989, no 86-43.399 : Bull. civ. V, no 362
Le temps consacré à la remise en marche des machines à l'issue d'un mouvement
de grève même répété ne saurait justifier une retenue sur salaire au motif de
la perte de production qui suit le mouvement, même à l'encontre des salariés,
dès l'instant que la grève est reconnue licite.
¨ Cass. soc., 6 juin 1989, no 86-40.349 : Bull. civ. V, no 426 (arrêt
no 3)
¨ Cass. soc., 6 juin 1989, no 86-40.349 : Bull. civ. V, no 426 (arrêt
no 2)
¨ Cass. soc., 4 juill. 1989, no 87-40.807 : Bull. civ. V, no 496
130 Rémunération du service minimum
En cas d'accord entre l'employeur et les salariés sur l'exécution d'un service
minimum, le salaire correspondant au temps passé à ce service doit être versé.
¨ Cass. soc., 20 févr. 1991, no 89-40.280 : Bull. civ. V, no 81
131 Rémunération du repos compensateur
La retenue sur salaires ne peut concerner que les jours où les salariés étaient
en grève et non ceux où ils bénéficiaient d'un repos compensateur.
¨ Cass. soc., 19 déc. 1983, no 81-42.026 : Bull. civ. V, no 629
132 Abattement de salaire proportionnel
au temps de grève
L'abattement de salaire doit être proportionnel à la durée de l'arrêt de
travail résultant de la grève, même lorsqu'il s'agit d'arrêts de travail
répétés et de courte durée, dès lors que ces arrêts n'ont pas entraîné la
désorganisation de l'entreprise.
¨ Cass. soc., 6 juin 1989, no 86-40.349 : Bull. civ. V, no 426 (arrêt
no 3)
¨ Cass. soc., 6 juin 1989, no 86-40.349 : Bull. civ. V, no 426 (arrêt
no 2)
¨ Cass. soc., 10 juill. 1991, no 89-43.147 : Bull. civ. V, no 349
Lorsque le salaire mensuel est établi d'après le nombre d'heures de travail
accomplies, la retenue doit être calculée suivant le nombre d'heures qui n'ont
pas été effectuées, compte tenu de l'horaire en vigueur dans l'entreprise.
L'abattement sur salaire qui présente un caractère forfaitaire constitue une
sanction pécuniaire prohibée.
¨ Cass. soc., 7 janv. 1988, no 84-42.448 : Bull. civ. V, no 10
Pour être proportionnel à l'interruption de travail, l'abattement de salaire
pour fait de grève doit être calculé sur l'horaire mensuel des salariés.
¨ Cass. soc., 19 mai 1998, no 97-41.900, Sté Le Parisien c/ Colin et a. :
Bull. civ. V, no 262
133 Exclusion de la garantie
de rémunération mensuelle
Le complément d'indemnisation du chômage partiel, destiné à garantir une
rémunération mensuelle minimale aux salariés, n'a pas à être servi pour les
réductions d'horaires qui « sont l'effet direct d'une cessation collective de
travail » ; la grève dans l'entreprise entre bien dans cette définition.
C. trav., art. L. 141-11
134 Rédaction du bulletin de paye
L'exercice du droit de grève ne doit pas faire l'objet d'une mention sur le
bulletin de paye.
C. trav., art. R. 143-2
135 à 137 (Réservés.)
Sous-section 2
Conséquences sur
les primes
138 Primes d'assiduité
Depuis l'intervention de la loi no 78-753 du 17 juillet 1978, qui a
ajouté à l'article L. 521-1 du Code du travail un alinéa interdisant les
mesures discriminatoires en matière de rémunération et d'avantages sociaux en
cas d'exercice du droit de grève, la jurisprudence a évolué et considère qu'il
existe une discrimination lorsque la prime d'assiduité est supprimée en cas
d'exercice du droit de grève, alors qu'elle ne l'est pas dans d'autres cas
d'absences.
L'employeur est en droit de tenir compte des absences, même motivées par la
grève, à l'occasion de l'attribution d'une prime destinée à récompenser une
assiduité profitable à l'entreprise, à la condition que toutes les absences,
autorisées ou non, entraînent les mêmes conséquences.
¨ Cass. soc., 28 mars 1989, no 86-43.867 : Bull. civ. V, no 260
Tel n'est pas le cas lorsque les absences pour événements familiaux, par
exemple, ne donnent pas lieu à retenue, ce dont il résulte que la suppression
d'une prime en cas de grève constitue une mesure discriminatoire.
¨ Cass. soc., 16 févr. 1994, no 90-45.916 : Bull. civ. V, no 55
La suppression de la prime d'assiduité, prévue en cas d'absence injustifiée,
donc fautive, ne peut être appliquée à des absences motivées par l'exercice
licite du droit de grève.
¨ Cass. soc., 2 juill. 1987, no 84-44.043 : Bull. civ. V, no 439
Le fait pour un employeur, après le déclenchement d'une grève, de créer une
prime et d'en faire varier le montant suivant que les salariés avaient fait
grève ou non constitue une mesure discriminatoire, dès lors que la quantité de
tâches demandée au personnel non gréviste pendant la période de grève n'a pas
été plus importante qu'à l'accoutumée.
¨ Cass. soc., 2 mars 1994, no 92-41.134 : Bull. civ. V, no 75
139 Prime de fin d'année
La jurisprudence adopte la même solution que pour les primes d'assiduité.
Si, dans les conditions d'attribution de la prime de fin d'année, certains cas
d'absences ne donnent pas lieu à retenues, les retenues opérées par l'employeur
en cas de grève constituent des mesures discriminatoires.
¨ Cass. soc., 19 juin 1990, no 87-40.634 : Bull. civ. V, no 290
140 Prime d'ancienneté
A la suite d'une grève, dès lors que la convention collective ne prévoit pas
que la prime d'ancienneté peut être perçue en cas de suspension du contrat de
travail, un employeur est en droit de réduire le montant de ladite prime.
¨ Cass. soc., 12 mai 1980, no 79-40.306 : Bull. civ. V, no 408
A l'inverse, constitue une mesure discriminatoire la prise en considération de
la suspension du contrat de travail, résultant de l'exercice du droit de grève,
pour retarder notamment l'augmentation de salaire lié à l'ancienneté alors que,
selon la convention collective, toutes les périodes d'absence ne suspendent pas
le droit à un avancement à l'ancienneté.
¨ Cass. soc., 9 févr. 2000, no 97-40.724 : Bull. civ. V, no 58
141 Intéressement
Si un accord d'intéressement prévoit une répartition entre les salariés fondée
sur la durée de présence au cours de l'exercice, les absences pour grève
peuvent être déduites de cette durée, à condition qu'aucune discrimination ne
soit opérée à cette occasion. Il y a discrimination si toute absence pour grève
entraîne un abattement sur la prime d'intéressement alors que les absences pour
maladie n'entraînent pas d'abattement pour les cinq premiers jours et ne
donnent lieu qu'à un abattement réduit pour les cinq jours suivants.
¨ Cass. soc., 6 nov.
1991, no 89-42.571 : Bull. civ. V, no 471
142 à 144 (Réservés.)
Sous-section 3
Conséquences sur
l'indemnisation des congés
145 Non-paiement des jours fériés compris dans
une période de grève
a - Jours fériés légaux
Aucun paiement n'est dû pour les jours fériés chômés en vertu des dispositions
légales (1er mai et fêtes légales) qui se placent dans une période de
grève.
¨ Cass. soc., 20 nov. 1953, no 2.168 : Bull. civ. IV, no 738
La Cour de cassation a réaffirmé ce principe dans un arrêt postérieur :
_ l'exercice du droit de grève suspend l'exécution du contrat de travail
pendant toute la durée de l'arrêt de travail, en sorte que l'employeur est
délié de l'obligation de payer le salaire ;
_ le salarié qui s'est associé au mouvement de grève doit être légalement
considéré, sauf preuve contraire de sa part, comme gréviste pour toute la durée
du mouvement ;
_ il ne peut prétendre au paiement de sa rémunération pendant cette période,
peu important qu'elle comprenne un ou plusieurs jours fériés chômés et payés
aux salariés qui continuent l'exécution de leur contrat de travail.
¨ Cass. soc., 14 avr. 1999, no 97-42.064, Sté Malichaud c/ Arnolin et a.
b - Jours fériés conventionnels
A une époque, la Cour de cassation considérait que lorsqu'une convention
collective accorde le paiement d'un jour férié à condition que les journées de
travail encadrant ce jour aient été normalement travaillées, aucun paiement
n'était dû au salarié qui avait participé à une grève lors de l'une ou l'autre
de ces journées.
¨ Cass. soc., 1er déc. 1960, no 59-40.521 : Bull. civ. IV, no 1108
Puis elle a considéré qu'une absence pour fait de grève ne peut être assimilée
à une absence sans autorisation expresse ou raison majeure justifiée telle que
prévues par certaines conventions collectives. L'indemnisation du jour férié
est donc due par l'employeur, malgré la grève du jour précédant ou suivant le
jour férié.
¨ Cass. soc., 19 juin 1986, no 83-45.536, SA Carnaud Emballage c/ Radigois
146 Non-prise en compte des jours de grève
pour le calcul des droits au congé payé
Les périodes de grève, suspendant le contrat de travail, ne peuvent, sauf
accord contraire des parties, être prises en compte pour calculer les droits à
congés payés acquis au cours d'une année donnée. On se reportera sur ce point à
l'étude "Congés payés" .
147 à 150 (Réservés.)
Sous-section 4
Conséquences sur
l'indemnisation du préavis
151 La grève en cours de préavis s'impute sur
la durée du préavis
La grève qui se place pendant le préavis n'interrompt pas le cours de celui-ci.
Autrement dit le préavis (et son indemnisation) prendront fin à la date
initialement fixée pour l'échéance.
¨ Cass. soc., 3 oct. 1968, no 67-40.226 : Bull. civ. V, no 409
Cette solution est directement imposée par le principe suivant lequel le
préavis est un délai dont l'échéance ne peut, sauf accord en ce sens des
parties, être reportée. Le même principe paraît devoir infirmer l'opinion
exprimée dans une réponse ministérielle, selon laquelle « le préavis signifié »
au cours d'une grève, ne commencerait à courir qu'à compter de la reprise du
travail.
¨ Rép. min. no 7992 JOAN CR 27 nov. 1957, p. 5015
152 à 155 (Réservés.)
Sous-section 5
Conséquences sur
le droit des grévistes aux prestations sociales
156 Accidents du travail
L'accident survenu au cours d'une grève ne peut être considéré ni comme un
accident du travail, ni comme un accident du trajet, puisque le contrat de
travail est suspendu pendant la grève.
¨ Cass. soc., 20 mars 1953, no 1.375 : Bull. civ. IV, no 243
¨ Cass. soc., 12 mai 1964, no 63-10.882 : Bull. civ. IV, no 415
Toutefois, le salarié accidenté alors qu'il est en grève peut bénéficier de la
protection accordée par la législation sur les accidents du travail :
_ s'il apporte la preuve qu'au moment de l'accident il agissait dans l'intérêt
de l'entreprise : salarié accidenté par le fait ou à l'occasion d'une action de
surveillance destinée à la sauvegarde des biens de l'entreprise conformément à
un plan ayant reçu l'accord de l'employeur et avec le concours des techniciens
(eux-mêmes grévistes) habituellement affectés à cette tâche ;
Lettres DAMCSS nos 6080, 6128, 6160, 6165/BP 1 , 7 oct. 1968 (inédites)
_ s'il est représentant du personnel et que l'accident ait lieu dans l'exercice
de ses fonctions (retour d'une réunion du comité central d'entreprise).
CA Orléans, 16 mars 1978 : DO 1978, p. 171
157 Prestations familiales
Les salariés dont l'activité se trouve suspendue, par suite d'une grève,
continuent à bénéficier, pendant cette période, des prestations familiales (v.
à ce sujet l'étude "Prestations familiales").
158 Assurances sociales
La grève ne fait pas perdre la qualité d'assuré social, mais les heures de
grève ne sont pas assimilées à des heures de travail salarié, alors qu'un minimum
d'heures de travail salarié est requis pour l'ouverture du droit aux
prestations. Pour les effets de la grève sur le calcul de l'indemnité
journalière de maladie, on se reportera à l'étude "Maladie des
salariés" .
159 Indemnisation conventionnelle de la maladie
a - Salarié malade avant la grève
Le complément conventionnel de rémunération doit être versé dès lors qu'une
partie du personnel a pu continuer à travailler pendant la période de grève.
¨ Cass. soc., 16 juill. 1987, no 85-44.490 : Bull. civ. V, no 497
b - Gréviste malade
Par contre, le gréviste qui tombe malade avant la fin de la grève, n'a pas
droit, pour les jours de maladie antérieurs à la reprise collective du travail
dans l'entreprise, au paiement des indemnités différentielles maladie prévues
par sa convention collective. L'exécution du contrat de travail étant déjà
suspendue, du fait de la grève, au moment où la maladie survient, « le salarié
ne peut prétendre bénéficier d'avantages stipulés en contrepartie d'un travail
qu'il n'a pas fourni ».
¨ Cass. soc., 1er mars 1972, no 71-40.257 : Bull. civ. V, no 162
c - Grève partielle puis totale
En cas de débrayage limité dans le temps, si un gréviste tombe malade, les
allocations complémentaires lui restent dues pour les heures qui auraient été
effectuées s'il n'était pas tombé malade, le contrat de travail n'étant
suspendu que pendant la période de grève. Si une grève totale succède à une
grève partielle, le salarié tombé malade lors de la grève partielle et qui
reprend son travail après que toute grève soit terminée, a droit à son
allocation complémentaire sans abattement pour la période de grève totale ; il
n'est en effet pas possible de préjuger de l'attitude qu'il aurait adoptée au
moment du changement de grève.
¨ Cass. soc., 20 févr. 1980, no 78-41.116 : Bull. civ. V, no 161
160 à 164 (Réservés.)
Sous-section 6
Conséquences sur
les rémunérations des non-grévistes
165 Paiement des salaires dus
aux non-grévistes
En l'absence de force majeure, l'employeur n'est pas libéré de ses obligations
vis-à-vis du personnel non gréviste qui est demeuré à sa disposition pour
travailler, même si le travail n'a pu être exécuté.
¨ Cass. soc., 19 déc. 1983, no 80-42.067 : Bull. civ. V, no 630
¨ Cass. soc., 8 avr. 1992, no 89-40.967 : Bull. civ. V, no 253
Constitue une sanction pécuniaire prohibée le refus par un employeur de verser
une prime prévue au profit des personnes présentes tous les jours travaillés
mais qui peut être supprimée pour indiscipline, faute professionnelle ou
négligence, à un salarié non gréviste, qui a refusé d'occuper le poste d'un
autre salarié gréviste.
¨ Cass. soc., 16 févr. 1994, no 90-45.915 : Bull. civ. V, no 56
166 Non-paiement en cas de force majeure
Si l'employeur se trouve dans l'impossibilité absolue de fournir du travail aux
non-grévistes, il n'est plus tenu de les rémunérer.
C'est le cas lorsque les grévistes occupent les lieux de travail et en
interdisent l'accès au moyen de piquets de grève, et que le préfet a refusé de
faire évacuer les locaux par la force publique.
¨ Cass. soc., 6 oct. 1971, no 71-40.105 : Bull. civ. V, no 542
L'employeur peut aussi se trouver contraint de fermer totalement l'entreprise
pendant la durée de la grève (v. l'étude "Lock-out" ), notamment pour
des raisons de sécurité : il se trouve alors délié de son obligation de
rémunérer les non-grévistes.
¨ Cass. soc., 18 janv. 1979, no 77-40.982 : Bull. civ. V, no 52
Mais dans tous les cas, l'employeur devra prouver la force majeure,
c'est-à-dire l'impossibilité absolue de faire fonctionner l'entreprise. Il
n'est pas en droit d'insérer dans les contrats de travail de ses salariés une
clause selon laquelle tout mouvement de grève constituerait un cas de force
majeure et le libérerait de ses obligations : les salariés concernés peuvent
saisir les tribunaux pour faire constater le caractère illicite d'une telle
disposition au cas où l'employeur entendrait s'en prévaloir à l'issue d'une
grève.
¨ Rép. min. no 34407 JOAN CR 5 mars 1977, p. 981
Sur l'action en dommages-intérêts que l'employeur peut intenter, voir nos
246 et suivants.
167 Paiement des salaires pour arrêt
de travail causé par une grève des services publics
Une grève externe à l'entreprise, grève de l'EDF, notamment, peut arrêter le
travail de certains ateliers ; dans ce cas, l'employeur peut décider un
remaniement d'horaire, qui le conduit à fermer son entreprise, pour la durée de
la grève de l'EDF, sous réserve de faire récupérer les heures perdues ; ne
causant ainsi aucun préjudice aux salariés, il ne doit pas verser d'indemnité
compensatrice du salaire perdu (ce qui serait le cas s'il gardait le personnel
à disposition sans lui fournir de travail).
¨ Cass. soc., 27 mars 1968, no 67-40.143, SA
Thomson-Houston-Hotckiss-Brandt c/ Le Bescont
168 à 172 (Réservés.)
Sous-section 7
Récupération des heures
de travail perdues
173 Pas de récupération pour les grèves
internes à l'entreprise
Les heures perdues par suite de grève ne peuvent donner lieu à récupération.
Cette interdiction était autrefois expressément indiquée par l'article D. 212-1
du Code du travail. Elle découle aujourd'hui implicitement de l'article L.
212-2-2, qui indique limitativement les circonstances autorisant la
récupération, et qui ne mentionne pas parmi celles-ci la grève.
L'article D. 212-1 (alors applicable) « interdit seulement à l'employeur
d'imposer la récupération au taux normal des heures perdues par suite de grève
ou de lock-out et non un accord sur l'accomplissement d'heures supplémentaires
rémunérées comme telles ».
¨ Cass. soc., 25 avr. 1979, no 78-40.058 : Bull. civ. V, no 330
174 Récupération possible pour les grèves
extérieures à l'entreprise
La grève extérieure à l'entreprise qui provoque des perturbations dans le
fonctionnement de celle-ci, telle une grève des services publics par exemple,
peut justifier une récupération. Il en est ainsi en cas de grève des transports
ou de l'électricité.
Par contre, les heures de travail perdues par le personnel, du fait de retard
ou d'absence dus à la déficience des transports, ne sont pas récupérables,
l'interruption de travail étant individuelle et non collective ; il en serait
autrement si tout le personnel de l'entreprise ne pouvait se rendre à son
travail, l'interruption de travail prenant alors un caractère collectif, qui
rendrait possible la récupération.
L'employeur qui ferme son entreprise, pour parer aux répercussions d'une grève
de l'EDF sur la marche de l'entreprise, a la faculté de faire récupérer le
personnel qui ne peut s'y soustraire.
¨ Cass. soc., 8 mars 1978, no 76-41.286 : Bull. civ. V, no 167
¨ Cass. soc., 6 févr. 1980, no 78-41.263 : Bull. civ. V, no 108
¨ Cass. soc., 9 juill. 1986, no 85-41.861 : Bull. civ. V, no 363
175 Concomitance entre grève extérieure et grève
interne à l'entreprise
Lorsque l'employeur décide de fermer son entreprise pour le jour où une grève
générale nationale doit priver cette entreprise de courant électrique, quitte à
récupérer ensuite cette journée chômée, la récupération s'impose-t-elle à
l'ensemble de ses salariés ?
Ceux d'entre eux, en effet, qui avaient eu l'intention de se joindre à la
grève, décidée au plan national, ne peuvent, en définitive, réaliser cette
intention qu'en refusant la récupération.
La Cour de cassation considère donc que l'employeur ne peut pas imposer la
récupération au personnel de son entreprise qui prétend avoir voulu participer
à la grève nationale, lorsque les trois conditions suivantes sont remplies :
_ le mot d'ordre de grève générale a été lancé antérieurement à la décision de
la fermeture de la société ;
¨ Cass. soc., 30 mars 1971, no 69-40.333 : Bull. civ. V, no 265
_ antérieurement, toujours, à la décision de fermeture, la direction de
l'entreprise a été informée de façon certaine de l'intention de son propre
personnel de faire grève ce jour-là ;
¨ Cass. crim., 16 juin 1970, no 92-000.68 : Bull. crim. , no 208
¨ Cass. crim., 23 oct. 1969, no 68-91.860, Syndicat de métallurgie du
Loiret (CFDT)
_ la grève générale, suivie dans l'entreprise, s'accompagne de « revendications
précises, insatisfaites, d'ordre social et professionnel de nature à intéresser
les ouvriers de l'entreprise ou tout au moins d'autres ouvriers avec lesquels
ils auraient entendu se solidariser ».
¨ Cass. crim., 12 janv. 1971, no 90-753.70 : Bull. crim. , no 5
¨ Cass. crim., 23 oct. 1969, no 68-91.860, Syndicat de métallurgie du
Loiret (CFDT)
176 et 177 (Réservés.)
Chapitre 5
Les procédures
de règlement des grèves
178 Différentes procédures
Les litiges collectifs intervenant entre les salariés et les employeurs des
professions visées à l'article L. 131-2 du Code du travail font l'objet de
négociations soit lorsque les conventions ou accords collectifs de travail
applicables comportent des dispositions à cet effet, soit lorsque les parties
intéressées en prennent l'initiative.
C. trav., art. L. 522-2
Dans de nombreux cas, une négociation entre l'employeur et les grévistes permet
d'aboutir au règlement du conflit. Les parties établissent alors un accord ou
un protocole de fin de conflit dont la nature juridique n'est pas définie.
Lorsque la négociation se révèle impossible, les textes ont prévu la
possibilité de s'adresser à des personnes ou des organismes extérieurs au
conflit au travers de trois procédures distinctes :
_ la conciliation, qui permet de soumettre le conflit à une commission et qui
peut déboucher sur un accord qui a les mêmes effets qu'une convention ou un
accord collectif de travail ;
_ la médiation, qui permet d'avoir recours à une personnalité désignée en
fonction de son autorité morale ou de ses compétences et qui peut également
déboucher sur un accord qui a les effets d'une convention ou d'un accord
collectif de travail ;
_ l'arbitrage, qui permet de soumettre le litige à une personnalité qui statue
en droit et en équité, la sentence arbitrale n'étant susceptible de recours que
devant la cour supérieure d'arbitrage.
Ces trois procédures distinctes peuvent se superposer :
_ la procédure de médiation peut être engagée après l'échec d'une procédure de
conciliation ;
_ peuvent être soumis à l'arbitrage les conflits qui subsisteraient à l'issue
d'une procédure de conciliation ou de médiation.
Section 1
La négociation et les accords de fin de conflit
179 Négociation dans l'entreprise
La négociation entre l'employeur et les grévistes peut permettre d'aboutir au
règlement du conflit par la signature d'un accord de fin de conflit.
180 Nature juridique des accords de fin
de conflit
Ces accords n'ont pas la même portée qu'un accord collectif de travail ou une
convention collective, les conditions de validité posées par l'article L. 132-2
et suivants n'étant pas toutes réunies (v. l'étude "Conventions et accords
collectifs" ).
Notamment, les signataires de l'accord de fin de conflit ne sont pas forcément
des délégués syndicaux ou les formalités de dépôt ne sont pas effectuées.
La Cour de cassation considère que l'accord de fin de conflit constitue une
transaction régie par les articles 2044 et suivants du Code civil et qu'il
comporte renonciation à toute réclamation ultérieure sur lesdites questions.
¨ Cass. soc., 25 avr. 1979, no 78-40.058 : Bull. civ. V, no 330
Plus récemment, la Cour de cassation a considéré qu'il s'agissait d'un
engagement que l'employeur était tenu de respecter à partir du moment où les
salariés avaient accepté de reprendre le travail.
¨ Cass. soc., 2 déc. 1992, no 90-45.186 : Bull. civ. V, no 579
Sur la notion d'engagement de l'employeur, voir l'étude "Usages et accords
atypiques" .
Comme toute transaction, l'accord de fin de conflit peut être annulé ou
inexécuté en cas de violence ou de force majeure.
Malgré les engagements pris par l'employeur dans un protocole mettant fin à la
grève, l'aggravation de la situation conjoncturelle constituait un obstacle
insurmontable à une remise au travail de tout le personnel.
¨ Cass. soc., 17 mai 1977, no 75-40.377 : Bull. civ. V, no 326
Statuant sur une question soulevée à propos de la compétence du conseil de
prud'hommes pour apprécier la légalité d'un accord de fin de conflit, la Cour
de cassation en a profité pour préciser qu'un tel accord devait juridiquement
s'analyser :
_ soit en un accord collectif d'entreprise lorsqu'il est signé après
négociation avec les délégués syndicaux d'organisations représentatives par
l'un ou plusieurs d'entre eux,
_ soit en un engagement unilatéral de l'employeur,
ce qui justifie, dans les deux cas, la compétence du conseil de prud'hommes.
¨ Cass. soc., 15 janv. 1997, no 94-44.914 : Bull. civ. V, no 20
181 Contenu des accords de fin
de conflit
Outre les clauses relatives à la rémunération, au paiement ou au rattrapage des
heures perdues pour fait de grève et aux conditions de travail, les accords de
fin de conflit peuvent accorder une place à des clauses telles que la
représentation du personnel, la conduite de l'entreprise, l'absence de
sanctions à l'égard des grévistes et l'abandon des poursuites judiciaires.
182 à 185 (Réservés.)
Section 2
La conciliation
186 Conciliation conventionnelle
Une procédure conventionnelle de conciliation peut être établie soit par la
convention ou l'accord collectif de travail, soit par un accord particulier, en
vue de soumettre le litige à une commission de conciliation composée de façon
paritaire.
187 Conciliation légale : caractère facultatif
Tous les conflits collectifs peuvent être soumis aux procédures de
conciliation.
Ceux qui, pour quelque raison que ce soit, n'ont pas été soumis à une procédure
conventionnelle de conciliation établie soit par la convention ou l'accord
collectif de travail, soit par un accord particulier, peuvent être portés
devant une commission nationale ou régionale de conciliation.
C. trav., art. L. 523-1
188 Composition tripartite des commissions
de conciliation
Les commissions nationales ou régionales de conciliation comprennent des
représentants des organisations les plus représentatives des employeurs et des
salariés en nombre égal ainsi que des représentants des pouvoirs publics dont
le nombre ne peut excéder le tiers des membres de la commission.
Des sections départementales peuvent être constituées au sein des commissions
régionales.
C. trav., art. L. 523-2
189 Compétence des commissions
de conciliation
La commission nationale de conciliation est compétente pour connaître des
conflits collectifs de travail s'étendant à l'ensemble du territoire national
ou intéressant plusieurs régions.
C. trav., art. R. 523-2
La commission régionale de conciliation est compétente pour connaître des
conflits collectifs s'étendant à toute la circonscription de la direction
régionale du travail et de l'emploi, sauf lorsque des sections départementales
ou interdépartementales ont été créées.
Dans cette dernière hypothèse, le conflit peut toutefois être porté devant la
section régionale de la commission régionale par décision du préfet de région,
soit sur la proposition du directeur régional du travail et de l'emploi, soit à
la demande des parties ou de l'une d'elles.
C. trav., art. R. 523-3
Lorsque plusieurs régions ou plusieurs départements limitrophes sont intéressés
par le conflit, les parties peuvent se mettre d'accord pour porter le conflit
devant l'une ou l'autre des commissions ou sections compétentes, sous réserve
que le ministre du Travail décide de saisir la commission nationale.
C. trav., art. R. 523-3
190 Saisine des commissions de conciliation
Les commissions de conciliation peuvent être saisies par :
_ les parties au conflit ;
_ le ministre du Travail ou le directeur régional du travail et de l'emploi ;
_ le préfet de région.
Les points sur lesquels porte le litige doivent être exposés.
C. trav., art. R. 523-10
191 Fonctionnement des commissions
de conciliation
Les parties sont tenues de comparaître en personne devant les commissions de
conciliation.
C. trav., art. L. 523-4
Les parties peuvent être assistées d'un membre de l'organisation syndicale ou
professionnelle à laquelle elles appartiennent.
C. trav., art. R. 523-11
La non-comparution de la partie qui a introduit la requête aux fins de
conciliation vaut renonciation à la demande.
C. trav., art. R. 523-13
En cas de non-comparution, sans motif légitime, d'une partie régulièrement
convoquée, est établi un procès-verbal de carence indiquant les points de
désaccord précisés par la partie présente ou représentée.
C. trav., art. R. 523-13
192 Les effets de la conciliation
A l'issue des réunions de la commission de conciliation, est établi un
procès-verbal qui constate l'accord, le désaccord total ou partiel des parties.
C. trav., art. L. 523-5
193 Accord à l'issue de la conciliation
L'accord de conciliation produit les effets des conventions et accords
collectifs de travail.
C. trav., art. L. 522-3
Il est applicable à partir du jour qui suit son dépôt au secrétariat-greffe du
conseil des prud'hommes et auprès des services du ministère du Travail.
C. trav., art. L. 522-3 et L. 132-10
194 Désaccord total ou partiel à l'issue
de la conciliation
En cas d'échec de la procédure de conciliation, le conflit est soumis soit à la
procédure d'arbitrage (v. nos 206 et s.), soit à la procédure de médiation (v.
nos 197 et s.).
195 et 196 (Réservés.)
Section 3
La médiation
197 Initiative de la médiation
La procédure de médiation peut être engagée dans les cas suivants :
_ après l'échec d'une procédure de conciliation, par le ministre du Travail ou
par le président de la Commission régionale de conciliation, à la demande de
l'une des parties ou de sa propre initiative ;
_ directement par le ministre du Travail, à la demande des parties ou de sa
propre initiative ou, s'il s'agit d'un différend à incidence régionale,
départementale ou locale, par le préfet ;
_ lorsque les parties présentent conjointement des requêtes à fin de médiation
en indiquant le nom du médiateur choisi d'un commun accord.
C. trav., art. L. 524-1 et R. 524-1
198 Choix du médiateur
Les parties au conflit peuvent désigner un médiateur.
En cas de désaccord, le médiateur est choisi par l'autorité administrative sur
une liste de personnalités désignées en fonction de leur autorité morale et de
leur compétence économique et sociale.
C. trav., art. L. 524-1
199 Pouvoirs du médiateur
Le médiateur a les plus larges pouvoirs pour s'informer de la situation
économique des entreprises et de la situation des travailleurs intéressés par
le conflit.
Il peut procéder à toutes enquêtes auprès des entreprises et des syndicats et
requérir des parties la production de tout document ou renseignement d'ordre
économique, comptable, financier, statistique ou administratif susceptible de
lui être utile pour l'accomplissement de sa mission. Il peut recourir aux
offices d'experts et, généralement, de toute personne qualifiée susceptible de
l'éclairer.
C. trav., art. L. 524-2
200 Rôle du médiateur
Après avoir, s'il y a lieu, essayé de concilier les parties, le médiateur leur
soumet, sous forme de recommandation motivée, des propositions en vue du
règlement des points du litige.
C. trav., art. L. 524-4
Le médiateur dispose d'un délai d'un mois pour produire ses propositions,
délai susceptible d'être prorogé si les parties en sont d'accord.
Aux termes d'un délai de huit jours, le médiateur constate l'accord ou le
désaccord des parties.
201 Accord des parties
L'accord sur la recommandation du médiateur lie les parties qui ne l'ont pas
rejetée. L'accord produit les effets des conventions et accords collectifs de
travail.
C. trav., art. L. 524-4, L. 522-3 et L. 132-10
202 Désaccord des parties
En cas d'échec de la tentative de médiation, le médiateur communique son
rapport au ministre du Travail qui peut le rendre public.
C. trav., art. L. 524-5
203 à 205 (Réservés.)
Section 4
L'arbitrage
206 Cas de recours à l'arbitrage
La convention ou l'accord collectif de travail peut prévoir une procédure
contractuelle d'arbitrage et l'établissement d'une liste d'arbitres dressée
d'un commun accord entre les parties.
C. trav., art. L. 525-1
Dans le cas où la convention ou l'accord collectif de travail ne prévoit pas de
procédure contractuelle d'arbitrage, les parties intéressées peuvent décider
d'un commun accord de soumettre à l'arbitrage les conflits qui subsisteraient à
l'issue d'une procédure de conciliation ou de médiation.
C. trav., art. L. 525-2
207 Choix de l'arbitre
L'arbitre est choisi soit par accord entre les parties, soit selon les
modalités établies d'un commun accord entre elles.
208 Pouvoirs de l'arbitre
L'arbitre ne peut pas statuer sur d'autres objets que ceux qui sont déterminés
par le procès-verbal de non-conciliation ou par la proposition du médiateur.
Il peut toutefois prendre en compte les événements postérieurs à la
conciliation ou à la médiation, qui sont la conséquence du conflit en cours.
L'arbitre statue en droit sur les conflits relatifs à l'interprétation et à
l'exécution des lois, règlements, conventions ou accords collectifs de travail
en vigueur.
Il statue en équité sur les autres conflits, notamment lorsque le conflit porte
sur les salaires ou sur les conditions de travail qui ne sont pas fixées par
les dispositions des lois, règlements, conventions ou accords collectifs de travail
en vigueur, et sur les conflits relatifs à la négociation et à la révision des
clauses des conventions collectives.
209 Sentences arbitrales
Les sentences arbitrales doivent être motivées et ne sont pas susceptibles de
recours que devant la Cour supérieure d'arbitrage.
C. trav., art. L. 525-4
210 Cour supérieure d'arbitrage
La Cour supérieure d'arbitrage connaît des recours pour excès de pouvoir ou
violation de la loi formés par les parties contre les sentences arbitrales.
C. trav., art. L. 525-5
Elle est composée de conseillers d'État et de magistrats de l'ordre judiciaire,
nommés par décret pour trois ans.
C. trav., art. L. 525-6
Son siège est au Conseil d'État à Paris.
La Cour peut prononcer l'annulation en tout ou partie d'une sentence arbitrale.
L'affaire est alors renvoyée aux parties qui peuvent désigner un nouvel
arbitre.
Dans l'hypothèse où la Cour est saisie à nouveau d'un recours sur la seconde
sentence arbitrale, elle peut faire procéder à une instruction complémentaire.
Elle rend alors une sentence arbitrale qui ne peut faire l'objet d'aucun
recours.
C. trav., art. L. 525-8
211 à 215 (Réservés.)
Chapitre 6
Les licenciements pour grève
216 Uniquement en cas de faute lourde
Seule la faute lourde imputable au salarié permet de rompre le contrat de
travail en cas de grève.
C. trav., art. L. 521-1, al. 1
Tout licenciement prononcé en dehors de ce cas est nul de plein droit.
C. trav., art. L. 521-1, al. 3
Seule la faute lourde autorisant le licenciement, la faute grave ne permet pas
à l'employeur de procéder à une telle mesure.
¨ Cass. soc., 28 nov. 1991, no 90-43.798, Ben Massaoud c/ SA AAF
Providence
Il est à préciser que l'abandon du vocable de « grève illicite » au profit de
celui de « mouvement illicite » par la Cour de cassation a des conséquences
pratiques importantes sur la protection dont pouvait prétendre bénéficier le
salarié gréviste. En effet, en l'absence d'exercice normal du droit de grève,
en matière disciplinaire par exemple, l'ex-gréviste ne pourra plus bénéficier
de la protection de l'article L. 521-1.
¨ Cass. soc., 16 nov. 1993, no 91-41.024 : Bull. civ. V, no 268
Le salarié devient simplement insubordonné et passible des sanctions
disciplinaires habituelles. Ce qui peut a priori apparaître comme une évolution
défavorable au gréviste lui est au contraire plus favorable, en raison de
l'évolution restrictive de la notion de faute lourde.
Section 1
La notion de faute
lourde
217 Absence de définition légale
de la faute lourde
Pour le Conseil d'État, il s'agit « manifestement d'une faute caractérisée,
d'une gravité particulière qui, en principe, révèle l'intention de nuire, qui
ne peut être excusée par les circonstances et qui doit être appréciée dans
chaque cas individuel ».
CE , Avis, 31 mars 1950 : BO Trav. no 1950, p. 870
Les cas les plus fréquents où la jurisprudence retient la faute lourde sont les
suivants : actes de violence, actes de rétention ou de dégradation des biens
appartenant à l'entreprise, entrave à la liberté du travail, blocage des
services de sécurité et plus généralement exercice illicite de la grève.
218 Entrave à la liberté du travail
Constitue une faute lourde le fait par des grévistes de s'opposer au travail
d'autrui.
¨ Cass. soc., 12 janv. 1983, no 80-41.535 : Bull. civ. V, no 12
¨ Cass. soc., 7 juill. 1983, no 81-40.191 : Bull. civ. V, no 423
¨ Cass. soc., 4 nov. 1992, no 90-41.899 : Bull. civ. V, no 529
L'existence d'une faute lourde est reconnue lorsque la participation
individuelle des grévistes à l'entrave à la liberté du travail de l'ensemble du
personnel est clairement établie (par acte d'huissier notamment).
La faute lourde est également retenue à l'encontre de salariés qui avaient
personnellement participé à la fermeture des accès de l'usine et qui avaient
fait obstacle à toute entrée ou sortie des véhicules, ce qui avait entraîné la
désorganisation de l'entreprise.
¨ Cass. soc., 30 juin 1993, no 91-44.824 : Bull. civ. V, no 185
219 Occupation des locaux
Constitue une faute lourde le fait d'occuper les locaux de l'entreprise et de
s'y maintenir au mépris de trois décisions de justice exécutoires.
¨ Cass. soc., 30 avr. 1987, no 84-42.370 : Bull. civ. V, no 238
220 Menaces. Actes de violence
Constitue une faute lourde :
_ le fait d'occuper les locaux de l'entreprise, d'interdire l'accès de l'usine
en condamnant l'entrée et d'afficher des menaces de mort envers le directeur ;
¨ Cass. soc., 1er févr. 1978, no 76-40.273 : Bull. civ. V, no 73
_ le fait de frapper un autre salarié qui refusait de s'associer à un mouvement
de grève ;
¨ Cass. soc., 26 mai 1981, no 79-41.623 : Bull. civ. V, no 467
_ le fait de séquestrer pendant plus de dix heures le directeur commercial dans
les locaux de la société et de s'opposer physiquement à sa sortie.
¨ Cass. soc., 1er avr. 1997, no 95-42.264, Barbarin et a. c/ Sté Pain
Jacquet
221 Blocage des services de sécurité
Constitue une faute lourde le fait de procéder, par rétention des clés de
contact pendant deux heures, au blocage de véhicules destinés à un service
d'ambulance.
¨ Cass. soc., 25 févr. 1988, no 85-45.262 : Bull. civ. V, no 134
L'entrave à l'accès des véhicules à un établissement de soins constitue
également une faute lourde.
¨ Cass. soc., 5 déc. 1989, no 86-44.301 : Bull. civ. V, no 693
222 Rétention ou dégradation des biens
appartenant à l'entreprise
Constitue une faute lourde le fait de refuser la restitution d'un véhicule,
propriété de l'entreprise.
¨ Cass. soc., 4 avr. 1979, no 78-40.328 : Bull. civ. V, no 313
La faute lourde est également reconnue lorsque la grève a eu pour conséquence
de désorganiser le service et de nuire à l'établissement.
¨ Cass. soc., 17 avr. 1985, no 82-42.005 : Bull. civ. V, no 230
223 Exercice illicite de la grève
La seule participation à un mouvement qui n'entre pas dans le cadre de
l'exercice licite d'une grève constitue une faute lourde.
¨ Cass. soc., 25 juin 1987, no 85-40.250 : Bull. civ. V, no 420
Est illicite un mouvement qui ne se rattachait en rien à des revendications
professionnelles.
¨ Cass. soc., 30 mai 1989, no 86-16.765 : Bull. civ. V, no 405
224 Les faits doivent être caractérisés
La jurisprudence ne reconnaît pas l'existence d'une faute lourde lorsque les
faits ne sont pas suffisamment caractérisés.
Ainsi, si l'intention de nuire n'est pas établie, si aucun fait ne caractérise
la désorganisation de l'entreprise et l'entrave à la liberté du travail, la
faute lourde est écartée.
¨ Cass. soc., 16 févr. 1989, no 87-42.572 : Bull. civ. V, no 133
225 La participation personnelle doit être établie
De même, lorsque les actes de participation personnelle de chacun des salariés
concernés aux piquets de grève ne sont pas établis, la faute lourde n'est pas
retenue.
¨ Cass. soc., 9 mars 1989, no 87-40.131 : Bull. civ. V, no 196
226 à 230 (Réservés.)
Section 2
Le licenciement pour faute
lourde
231 La faute lourde autorise le licenciement
suivant la procédure habituelle
L'existence d'une faute lourde a pour conséquence de permettre de déroger à la
règle selon laquelle la grève ne rompt pas le contrat de travail (C. trav.,
art. L. 521-1).
La faute lourde justifie un licenciement immédiat et sans indemnité de rupture,
mais ne dispense pas l'employeur d'accomplir les formalités requises pour le
licenciement. Le Conseil d'État et la Cour de cassation ont, en effet, bien
affirmé que la faute lourde ne rompt pas automatiquement le contrat de travail
mais constitue simplement un motif de licenciement sans préavis ni indemnité
(sur la procédure applicable, on se reportera donc à l'étude
"Licenciement" ). Si la faute lourde est reprochée à un représentant
du personnel, le licenciement devra respecter les formes propres à cette
catégorie de salariés (v., à ce sujet, l'étude "Représentants du
personnel" ).
CE , Avis, 31 mars 1950 : BO Trav. no 1950, p. 870
Cass. crim., 28 juin 1951 : DO 1951, J. 281
¨ Cass. soc., 5 mai 1960, no 1.565 : Bull. civ. IV, no 453
232 Sanctions discriminatoires
En cas de faute lourde, la Cour de cassation a admis que l'employeur puisse
prononcer une sanction inférieure au licenciement, une mise à pied par exemple,
et qu'il puisse sanctionner différemment les salariés auteurs de la faute
lourde.
La Cour de cassation rappelle qu'à la condition de ne pratiquer aucune
discrimination au sens de l'article L. 122-45 du Code du travail, il est permis
à l'employeur, dans l'intérêt de l'entreprise, de sanctionner différemment des
salariés qui ont participé à une même faute.
¨ Cass. soc., 15 mai 1991, no 89-42.270 : Bull. civ. V, no 236
¨ Cass. soc., 1er févr. 1995, no 91-44.908 : Bull. civ. V, no 45
On peut cependant se demander où se situe la ligne de partage entre
l'individualisation des sanctions et l'arbitraire du chef d'entreprise. Les
juges n'exigent pas que l'employeur explique les raisons qui l'ont amené à
sanctionner différemment les salariés. Une telle explication permettrait
pourtant d'apprécier si la sanction a bien été prise dans l'intérêt du salarié
ou si elle ne revêt pas, au contraire, un caractère discriminatoire.
233 Réintégration du salarié
En cas de grève, le licenciement prononcé en dehors du cas de la faute lourde
est nul de plein droit.
C. trav., art. L. 521-1, al. 3
¨ Cass. soc., 15 mai 1991, no 89-44.670 : Bull. civ. V, no 235
La nullité du licenciement doit entraîner la réintégration du salarié : « le
licenciement des salariés grévistes étant entaché de nullité, c'est à bon droit
que la cour d'appel a ordonné la poursuite du contrat de travail qui n'avait pu
être valablement rompu ».
¨ Cass. soc., 10 oct. 1990, no 88-41.426 : Bull. civ. V, no 434
Dès lors que le motif réel du licenciement est la participation active à une
grève et que les faits reprochés au salarié connus postérieurement ne sont que
des prétextes ne présentant aucun caractère de faute lourde, la nullité du
licenciement est encourue. Le juge des référés est alors compétent pour
ordonner la continuation du contrat de travail.
¨ Cass. soc., 28 avr. 1994, no 90-45.687, Sté Delachaux c/ Clavier
234 à 237 (Réservés.)
Section 3
Le licenciement
des représentants du personnel
238 Autorisation administrative préalable
Le licenciement des représentants du personnel et des délégués syndicaux ne
peut intervenir qu'après autorisation de l'inspecteur du travail.
C. trav., art. L. 425-1, L. 436-1 et L. 412-18
L'inspecteur du travail contrôle le caractère non discriminatoire du
licenciement et le degré de gravité de la faute invoquée (v. l'étude
"Représentants du personnel" ).
239 Contrôle du caractère non discriminatoire
du licenciement
L'inspecteur du travail examine notamment si la mesure de licenciement est en
rapport avec le mandat détenu, brigué ou antérieurement exercé par l'intéressé.
C. trav., art. R. 436-7
Doit être refusée l'autorisation concernant un salarié qui avait joué un rôle
important dans un conflit collectif opposant la direction aux salariés de
l'entreprise, la demande étant en rapport avec le mandat syndical dont était
investi l'intéressé.
¨ CE, 23 oct. 1987, no 59728, Florit
240 Contrôle de la gravité
de la faute
L'inspecteur du travail contrôle si la faute est d'une gravité suffisante pour
justifier le licenciement.
La faute est d'une gravité suffisante lorsque par exemple les représentants du
personnel participent activement et personnellement à des piquets de grève
faisant obstacle à la liberté du travail.
¨ CE, 19 janv. 1983, no 29049, Asencio et Garcia
Le comportement délibérément agressif d'un représentant du personnel et les
actes de violence commis à l'encontre d'autres salariés au cours d'un mouvement
de grève ne peuvent être regardés comme relevant de l'exercice normal du mandat
et ont le caractère d'une faute d'une gravité suffisante de nature à justifier
le licenciement de l'intéressé.
¨ CE, 25 févr. 1994, no 113903, Mancuso
241 à 244 (Réservés.)
Chapitre 7
Les responsabilités pour
faits de grève
Section 1
La responsabilité
civile
245 Responsables
La responsabilité civile des grévistes et des syndicats à l'occasion d'une
grève peut être mise en jeu en application de l'article 1382 du Code civil.
La responsabilité civile de l'État ou de l'employeur peuvent également être
mises en jeu.
Sous-section 1
Responsabilité civile des grévistes
246 Conditions
La responsabilité civile des grévistes ne peut être reconnue que lorsque le
demandeur, employeur ou non-gréviste, allègue un préjudice lié aux agissements
personnels et fautifs des grévistes.
247 Existence d'un préjudice
La responsabilité civile d'un salarié gréviste ne peut être engagée par
l'employeur aux fins de réparer le préjudice économique subi par l'entreprise
du fait d'une grève que s'il démontre que ce préjudice est distinct de celui
que tout mouvement de grève provoque.
¨ Cass. soc., 30 mai 1989, no 86-16.765 : Bull. civ. V, no 405
248 Agissements fautifs
La responsabilité civile des grévistes est retenue lorsque les agissements ne
se rattachent pas à l'exercice normal du droit de grève.
¨ Cass. soc., 8 déc. 1983, no 81-14.238 : Bull. civ. V, no 598
249 Participation personnelle des grévistes
Cette participation personnelle peut par exemple être établie par des
procès-verbaux de constat dressés par huissier.
¨ Cass. soc., 6 juin 1989, no 87-40.738 : Bull. civ. V, no 425
La responsabilité d'un salarié participant à une grève ne peut être engagée
qu'à raison du préjudice découlant directement de sa participation personnelle
à des actes illicites commis pendant l'arrêt du travail.
¨ Cass. soc., 19 déc. 1990, no 89-14.576 : Bull. civ. V, no 698
¨ Cass. soc., 18 janv. 1995, no 91-10.476 : Bull. civ. V, no 27
250 Lien de causalité direct entre la faute
reprochée et le préjudice invoqué
Il est nécessaire de constater le lien de causalité direct entre les
agissements fautifs et le préjudice invoqué.
¨ Cass. soc., 30 mai 1989, no 86-16.765 : Bull. civ. V, no 405
¨ Cass. soc., 19 oct. 1994, no 92-11.795, Citroën c/ CGT
251 Responsabilité in solidum
Chacun des co-responsables d'un même dommage doit être condamné à le réparer en
totalité, sans qu'il y ait lieu de tenir compte d'un partage entre eux qui
n'affecte que leurs rapports réciproques et non le caractère et l'étendue de
leurs obligations à l'égard de la partie lésée.
¨ Cass. soc., 8 déc. 1983, no 81-14.238 : Bull. civ. V, no 598
¨ Cass. soc., 6 juin 1989, no 87-40.738 : Bull. civ. V, no 425
252 Compétence du conseil des prud'hommes
S'agissant d'un différend né entre salariés à l'occasion du travail, la Cour de
cassation retient la compétence du conseil des prud'hommes.
¨ Cass. soc., 3 mars 1983, no 81-15.453 : Bull. civ. V, no 129
253 Compétence de la juridiction répressive
Pour être recevable devant la juridiction répressive, l'action civile doit
avoir pour but la réparation d'un préjudice personnel résultant directement de
l'infraction.
¨ Cass. crim., 15 mai 1987, no 86-91.015 : Bull. crim. , no 198
254 à 257 (Réservés.)
Sous-section 2
Responsabilité civile
des syndicats
258 Conditions
La reconnaissance de la responsabilité civile des syndicats est soumise aux
mêmes conditions que celle des grévistes :
_ existence d'un préjudice ;
_ agissements fautifs ;
_ lien de causalité direct entre le préjudice invoqué et les agissements
constatés ;
_ participation effective du syndicat aux agissements abusifs constatés.
259 Agissements fautifs
Si la responsabilité civile d'un syndicat ne peut en principe être engagée à
l'occasion de l'exercice du droit de grève constitutionnellement reconnu,
notamment du fait du préjudice indirect subi par des tiers, il en est autrement
lorsque le syndicat a effectivement participé à des agissements constitutifs
d'infractions pénales ne pouvant se rattacher à l'exercice normal du droit de
grève.
¨ Cass. soc., 9 nov. 1982, no 80-13.958 : Bull. civ. V, no 614
De même, la responsabilité civile d'un syndicat peut être engagée lorsqu'il
incite des salariés à participer à des agissements fautifs constituant un
mouvement illicite.
Dans une espèce concernant EDF, la Cour de cassation a ainsi qualifié de
mouvement illicite ne caractérisant pas l'exercice normal du droit de grève, le
mouvement :
_ n'ayant pas comporté d'arrêt collectif et concerté du travail ;
_ et ayant consisté en une série d'actions telles que le blocage de l'accès aux
sites et du système d'information de l'entreprise, le détournement de matériel,
la dégradation des locaux et les coupures de courant.
¨ Cass. soc., 26 janv. 2000, no 97-15.291 : Bull. civ. V, no 38
La responsabilité civile du syndicat n'est à l'inverse pas reconnue lorsque le
syndicat n'a commis aucune faute dans l'organisation et le déroulement de la
grève.
¨ Cass. soc., 21 janv. 1987, no 85-13.295 : Bull. civ. V, no 27
260 Lien de causalité direct entre
les agissements et le préjudice invoqué
La responsabilité civile du syndicat n'est pas retenue lorsqu'il n'apparaît pas
que les syndicats aient, par instructions ou par tout autre moyen, commis des
fautes en relation avec les dommages invoqués.
¨ Cass. soc., 9 nov. 1982, no 80-16.929 : Bull. civ. V, no 615
261 Participation effective du syndicat
La responsabilité du syndicat ne peut être retenue :
_ lorsqu'il n'est constaté aucune participation du syndicat aux obstacles
apportés à la liberté du travail et à la résistance opposée à l'ordonnance
d'expulsion ;
¨ Cass. soc., 17 juill. 1990, no 88-13.494 : Bull. civ. V, no 371
_ qu'à raison du préjudice résultant directement de son comportement fautif. Il
ne saurait être mis à la charge du syndicat et des salariés ayant commis des
actes illicites ou y ayant participé, la réparation de l'entier dommage subi
par l'entreprise. Il convient de préciser, en ce qui concerne chacun pris
séparément, à quel acte fautif il avait effectivement participé ;
¨ Cass. soc., 18 janv. 1995, no 85-13.295 : Bull. civ. V, no 27
_ lorsqu'aucune participation du syndicat aux obstacles apportés à la liberté
du travail et à la résistance opposée à l'ordonnance d'expulsion n'a été
constatée ;
¨ Cass. soc., 17 juill. 1990, no 88-11.937 : Bull. civ. V, no 375
_ du fait qu'un permanent syndical soit simplement présent alors que le
personnel en grève faisait obstacle au chargement de camions ;
¨ Cass. soc., 23 juin 1988, no 86-12.327, Sté Sapro c/ Charbelet et a.
_ lorsque les dirigeants d'un syndicat n'ont pas incité les grévistes à
commettre des agissements illicites.
¨ Cass. soc., 21 janv. 1987, no 85-13.295 : Bull. civ. V, no 27
Les grévistes, même lorsqu'ils sont représentants du syndicat auprès de
l'employeur ou des organes représentatifs du personnel au sein de l'entreprise,
ne cessent pas d'exercer individuellement le droit de grève et n'engagent pas
par les actes illicites auxquels ils peuvent se livrer la responsabilité des
syndicats auxquels ils appartiennent.
¨ Cass. soc., 17 juill. 1990, no 87-20.055 : Bull. civ. V, no 375
De même, les syndicats ne sont pas les commettants des grévistes, ceux-ci
exerçant individuellement le droit de grève.
¨ Cass. soc., 9 nov. 1982, no 80-16.929 : Bull. civ. V, no 615
La responsabilité civile des syndicats est à l'inverse engagée lorsqu'ils ont
été constamment les investigateurs et les organisateurs d'un mouvement illicite
et qu'ils en ont assuré la maîtrise et la poursuite, en incitant par des
directives à l'accomplissement d'actes fautifs.
¨ Cass. soc.,
26 janv. 2000, no 97-15.291 : Bull. civ. V, no 38
262 à 265 (Réservés.)
Sous-section 3
Responsabilité civile
de l'État
266 Fondement
Les forces de police peuvent être sollicitées par l'employeur en cas
d'occupation des locaux et d'entrave à la liberté de circulation. Les autorités
de police ont la faculté d'apprécier s'il y a lieu ou non de prêter leur
concours. En cas de refus de concours de la force publique, la responsabilité
de l'État peut se trouver engagée soit sur le fondement de la faute, mais
essentiellement en cas de faute lourde, soit sur le fondement du risque du fait
de la rupture du principe d'égalité devant les charges publiques.
267 Responsabilité pour faute
La responsabilité de l'État pour inaction de la police ne peut être engagée
principalement que sur le terrain de la faute lourde.
Le refus d'envoyer des forces de police dans une usine pour délivrer des salariés
détenus par des grévistes alors que les autorités administratives avaient
engagé des négociations afin d'obtenir la libération du personnel séquestré,
libéré d'ailleurs moins de 36 heures plus tard, ne revêtait pas le caractère
d'une faute lourde et ne pouvait dès lors engager la responsabilité pécuniaire
de l'État.
¨ CE, 18 juin 1975, no 90263, SA française du Férodo : Rec. CE , p. 363
268 Responsabilité pour risque (sans faute)
La responsabilité de l'État pour inaction de la police peut être engagée, en
l'absence de toute faute, sur le terrain du risque.
Dans l'hypothèse où une ordonnance de référé a prescrit la dispersion des
piquets de grève, le préjudice qui peut naître du refus de concours de la force
publique entraîne pour le bénéficiaire de la décision de justice une charge
anormale rompant l'égalité devant les charges publiques.
¨ CE, 10 avr. 1991, Sté Automobile Citroën
Le justiciable nanti d'une décision de justice dûment revêtue de la formule
exécutoire est en droit de compter sur l'appui de la force publique pour
assurer l'exécution du titre qui lui a été ainsi délivré ; si l'administration
est en droit, dans certaines circonstances, de refuser le concours de la force
publique, le préjudice qui peut naître de ce refus ne peut être considéré comme
une charge incombant à l'intéressé que si la situation ne s'est pas prolongée
au-delà du délai dont l'autorité administrative doit normalement disposer.
¨ CE, 17 févr. 1988, no 56952, Laporte et a. : Rec. CE , p. 70
En l'absence de faute imputable à l'État, l'indemnisation doit être limitée à
la partie du préjudice qui revêt un caractère anormal.
¨ CE, 6 nov. 1985, no 45746, Cie Touraine Air Transport
Dans l'arrêt ci-dessus, le Conseil d'État a considéré que le préjudice qui
résultait de la grève des contrôleurs aériens excédait, pour les compagnies
aériennes, les charges qu'elles devaient normalement supporter sans indemnité.
269 Attroupements ou rassemblements
Aux termes de l'article 92 de la loi no 83-8 du 7 janvier 1983,
l'État est civilement responsable des dégâts et dommages résultant de crimes et
délits commis à force ouverte ou par violence par des attroupements ou
rassemblements armés ou non armés soit contre les personnes, soit contre les
biens.
Sous-section 4
Responsabilité civile de l'employeur
270 Responsabilité contractuelle de l'employeur
L'inexécution ou la mauvaise exécution d'une obligation contractuelle est
susceptible de causer un dommage au créancier et, par voie de conséquence,
d'entraîner la responsabilité du débiteur de l'obligation inexécutée.
C. civ., art. 1146 et s.
Un employeur qui n'exécute pas ses obligations en raison d'une grève de son
personnel peut ainsi voir sa responsabilité engagée par le ou les
cocontractants concernés.
271 Causes exonératoires
L'employeur poursuivi en responsabilité peut s'exonérer en établissant que
l'inexécution ou la mauvaise exécution du contrat résulte :
_ soit d'un cas de force majeure ;
_ soit d'un cas fortuit.
C. civ., art. 1148
Dans un arrêt très remarqué, la Cour de cassation a répondu à la question de
savoir si la grève pouvait constituer un cas de force majeure pour l'employeur
qui n'exécute pas ses obligations.
En l'espèce, suite au mouvement de grève qui a paralysé le trafic ferroviaire
de novembre à décembre 1995, les sociétés Automobiles Peugeot et Citroën ont
exercé une action en responsabilité contre la SNCF afin d'obtenir la réparation
de leurs préjudices résultant notamment de l'immobilisation de leurs véhicules.
La Cour de cassation a toutefois exonéré la SNCF de sa responsabilité, en
jugeant que cette grève présentait les caractères constitutifs de la force
majeure (extérieur, imprévisible et irrésistible) :
_ la grève avait été déclenchée pour contester les projets du gouvernement
concernant le régime de Sécurité sociale et ses répercussions sur le régime
spécial de retraite des cheminots. Les revendications étaient donc extérieures
à la SNCF qui n'avait pas la maîtrise de ces projets ;
_ l'ampleur et la durée de la grève présentaient un caractère imprévisible car
au moment du dépôt du préavis, nul ne pouvait prévoir que le mouvement durerait
plus d'un mois et paralyserait aussi bien l'entreprise que la vie
économique du pays ;
_ enfin, le caractère irrésistible de la grève résultait de l'impossibilité
pour l'entreprise publique de recourir notamment à la réquisition, en raison
des menaces qu'elle aurait fait peser sur la cohésion sociale et à un personnel
de remplacement eu égard à la spécificité du matériel ferroviaire.
¨ Cass. soc.,
11 janv. 2000, no 97-18.215 : Bull. civ. V, no 16
272 à 274 (Réservés.)
Section 2
La responsabilité pénale
275 Délits spécifiques à la grève et délits en
général
Au cours de la grève, même licite, certains agissements peuvent être commis,
qui constituent des délits susceptibles d'être poursuivis devant les tribunaux
pénaux.
276 Le délit d'entrave à la liberté
du travail
Le Code pénal punit d'un emprisonnement de 6 jours à 3 ans et/ou d'une
amende de 500 à 10 800 F, les violences, voies de fait, menaces ou manoeuvres
frauduleuses réalisées dans le but d'inciter les salariés à l'égard de qui ces
agissements sont exercés à se joindre à une cessation concertée du travail.
C. pén., art. 431-1
Cass. crim., 29 juin 1950 : D. 1950, J. 597
Deux éléments sont donc requis pour que le délit soit constitué :
_ une relation entre les violences, voies de fait, manoeuvres frauduleuses et
une cessation concertée du travail. Cette condition n'est pas remplie dans le
cas de « mise à l'index » par laquelle des salariés empêcheraient, sous menace
de grève, l'embauchage de travailleurs non syndiqués ou d'appartenance
syndicale différente (Cass. crim., 29 oct. 1964 : Bull. crim. n o 283
) ; il n'en reste pas moins que l'employeur qui céderait devant cette menace
serait en infraction avec une disposition d'ordre public : l'article L. 412-2
du Code du travail qui lui interdit de prendre en considération l'appartenance
à un syndicat lors d'un embauchage (CA Paris 11 janv. 1965 : D. 1965,
somm. 92 ) ;
_ l'intention délictuelle. Du fait de l'absence d'intention délictuelle, le
délit d'entrave n'est pas réalisé par la coupure à la centrale électrique du
courant alimentant un secteur industriel, faite sans dessein d'intimidation ou
de contrainte.
Cass. crim., 29 juin 1950 : D. 1950, J. 597
Cass. crim., 13 mars 1951 : Bull. crim. , no 88
277 Violences et voies de fait, menaces et
manoeuvres frauduleuses
Les violences réprimées par l'article 414 du Code pénal sont les coups et les
blessures qui atteignent les personnes.
Les voies de fait sont des actes de nature à impressionner les personnes contre
lesquelles ils sont dirigés, aussi vivement que le seraient des coups et
blessures. Ainsi, il a été jugé que l'occupation des voies de chemin de fer
devant les locomotives en partance, pour décider les conducteurs (qui
redouteraient d'écraser les manifestants) à cesser leur travail, constitue une
voie de fait.
Cass. crim., 21 nov. 1951, Nam et a
Est aussi une voie de fait l'obstruction des entrées d'un grand magasin
réservées au public, interdisant l'accès aux clients, ce qui empêche l'employeur
et les non-grévistes de travailler.
¨ Cass. soc., 21 févr. 1978, no 76-14.909 : Bull. civ. V, no 127
Les menaces , également, pour être retenues, doivent revêtir un caractère assez
impressionnant ; être de nature à influer sur la volonté des non-grévistes, par
les violences qu'elles leur font redouter : la constitution de piquets de grève
à l'entrée de l'entreprise n'est pas en elle-même délictuelle, mais le délit
d'entrave à la liberté du travail se trouve réalisé dès lors que les membres du
piquet de grève adoptent une attitude d'intimidation :
_ en organisant des barrages au coude à coude sur toute la largeur de la rue,
de manière à interdire l'accès de l'usine ;
¨ Cass. soc., 6 mai 1971, no 69-40.548 : Bull. civ. V, no 341
_ en interpellant les non-grévistes pour les contraindre à quitter le chantier
par crainte des représailles envisagées au cours d'une réunion publique tenue
la veille.
¨ Cass. crim., 5 févr. 1957, no 852/55 : Bull. crim. , no 116
Les manoeuvres frauduleuses visées par l'article 414 du Code pénal ne peuvent
être constituées par des simples mensonges auxquels aucun fait extérieur ne
vient donner force ou crédit.
Cass. crim., 3 mars 1953 : D. 1953, J. 444
278 La séquestration
Le Code pénal réprime sévèrement le délit de séquestration :
_ emprisonnement de 2 à 5 ans, lorsque la séquestration n'a pas duré plus
de 5 jours ;
_ réclusion criminelle lorsque la séquestration a dépassé 5 jours.
C. pén., art. 224-1
Les tribunaux correctionnels ont condamné des grévistes :
_ pour la séquestration pendant 32 heures de 4 cadres d'une usine, à des peines
de prison de 1 à 3 mois avec sursis ;
T. corr. Caen, 24 nov. 1972 : DS 1973, p. 378
_ pour la séquestration de 6 cadres pendant 24 heures, à des peines de prison
de 2 à 3 mois avec sursis.
T. corr. Rennes, 1er mars 1972 : CP no 6-1972, p. 141
La chambre criminelle de la Cour de cassation a considéré que constituait le
délit de séquestration arbitraire le fait, par des salariés, de retenir, contre
son gré, pendant moins de cinq jours, un chef d'entreprise sur les lieux de
travail, même s'il n'est pas usé de violences, afin de le contraindre
d'accorder les avantages qu'ils réclamaient.
¨ Cass. crim., 23 déc. 1986, no 85-96.630 : Bull. crim. , no 384
A noter, en outre, que l'accord collectif conclu par les représentants
patronaux « privés de leur liberté de mouvement » et de libres communications
téléphoniques, sera annulé par les tribunaux comme conclu sous la contrainte
(vice de consentement).
TGI Paris, 19 mars 1973 : CP no 6-1973, p. 104
279 Autres délits
Peuvent également être sanctionnés :
_ la violation de domicile avec violences ou menaces (C. pén., art. 226-4
(ancien art.184) ) : l'occupation des locaux de travail, bien qu'analysée en
une violation de domicile par de nombreux tribunaux, ne constitue pas le délit
réprimé par l'article 226-4 (ancien art. 184) du Code pénal, si elle est
réalisée sans violence ni menaces ; ainsi, ne tombe pas sous le coup de
l'article 226-4 (ancien art. 184) du Code pénal, une invasion réalisée sans
effractions, violences ni menaces et sans rencontrer d'opposition ;
¨ Cass. crim., 4 déc. 1957, no 91231/57 : Bull. crim. , no 806
_ la destruction, la dégradation ou la détérioration d'un bien appartenant à
autrui (C. pén., art. 322-1) ;
_ le vol d'objets mobiliers (C. pén., art. 311-1 ) ;
_ les violences, les menaces, les blessures et coups volontaires (C. pén., art.
222-17, 431-9 ) ;
_ la rébellion, les outrages et injures envers les représentants de la force
publique (C. pén., art. 433-3, 433-5).
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